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épais vers les régions où les âmes des hommes chantent avec les anges. Gotton entendait et rêvait, mais elle ne quittait pas son jupon de tous les jours, ni ses sabots ; elle n’allait pas à l’église. Elle n’aurait pas cru que cela finirait par tant lui manquer ! Alors elle pensait à l’église de Metsys ; elle avait envie de revoir son curé, les mains saintement levées, chantant la Préface. Elle retrouvait avec cette image l’impression confuse que lui donnaient les incompréhensibles paroles latines résonnant si richement dans le chœur de bois sculpté, — l’antique mélodie à la fois étrange et familière qui semblait animer d’une vie magique les personnages grouillans du retable, les figures des chapiteaux. Elle revoyait les vitraux, ces énigmes palpitantes qui avaient brillé sur son enfance et suscité ses premiers rêves ; — ces gemmes, ces braises inextinguibles — quelle sorcellerie ! — Comme elle avait aspiré à participer de leur ardeur ! et quand elle avait connu le regard passionné de Luc, elle avait cru trouver un foyer du même feu — foyer tout proche, tout humain, auquel son âme pourrait s’allumer, pourrait devenir aussi brillante et brûlante !... Dans les premiers temps de leur amour, c’avait été son intime bonheur de sentir que sa passion veillait en elle, à travers la solitude, le travail monotone, les jours brumeux et jusqu’au plus obscur du sommeil. Il lui semblait qu’en effet son âme était devenue comme incandescente et qu’il devait y avoir autant de différence entre un cadavre et une ressuscitée qu’entre la jeune fille qu’elle avait été et l’amoureuse qu’elle était devenue. Mais maintenant elle apprenait que l’amour n’a pas la fixité des gemmes et que s’il ne peut grandir et se propager comme la flamme, il s’étouffe douloureusement parmi des cendres.


CAMILLE MAYRAN.