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Ici et là il nous indique que les troupes italiennes mèneront en rampant leur escalade, couvertes par le feu de l’artillerie, jusqu’à ce qu’elles arrivent à celle d’une nue d’où elles doivent faire toutes seules leur attaque, qui est réellement une escalade. Si cette attaque échouait, alors il leur faudrait creuser des tranchées au milieu des rochers et coucher dehors sous le ciel rude ; car c’est la guerre en montagne, une guerre où les vallées sont des pièges de mort et où seules les hauteurs comptent.

Nous nous retournons pour regarder derrière nous les collines capturées, qui depuis le temps de leur création étaient restées si parfaitement ignorées, mais qui maintenant, à cause du prix dont on les aura payées, vivront dans l’histoire aussi longtemps qu’il y aura une histoire d’Italie. Quant aux montagnes qui se dressent devant nous, ce sont cimes encore païennes qui ont à recevoir le baptême et à s’inscrire au livre d’or, et personne ne peut dire à ce moment laquelle d’entre elles recueillera le plus d’honneur ou quel groupe de huttes de bergers portera à travers les âges le nom d’une bataille d’un mois.

Le recueillement qui présage une grande attaque étend son manteau sur le repos des deux lignes. Le silence général n’est coupé que par quelques pièces occupées à finir un travail pour leur propre compte. Les Autrichiens ont, eux aussi, à mettre une dernière touche : ils tirent sur un couvent qui domine au versant des collines, — calculant leurs coups, un par un. Un gros canon au-dessous de nous se met paresseusement à faire sa partie de notre côté, ébranlant toute la Montagne de Bouc. Soudain mettant l’oreille au récepteur, nous entendons, dans les ténèbres sous nos pieds, une voix jeune, — celle du correcteur d’artillerie, — prononcer ces mots qui n’ont aucun rapport avec la justesse du tir :

— Toutes nos félicitations ! Alors vous dinez avec nous ce soir et vous payez le vin...

Tout le monde se met à rire. Notre guide nous explique :

— L’officier observateur, — il est en bas vers Goritz, — vient de téléphoner qu’il a été promu aspirant, — vous dites sous-lieutenant, n’est-ce pas ? Il aura à grimper ici au mess d’artillerie ce soir, et l’on boira à son avancement.

— Je parie qu’il viendra, propose quelqu’un.

Mais personne ne se présente pour parier contre. Car, voyez- vous, la jeunesse est partout immortellement la même.