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bottes garnies de clous font du bruit sur le rocher, — vous découvrez que vous dominez le poste de l’ennemi installé au sommet, et alors vous le détruisez, à moins que vous ne préfériez lui couper son ravitaillement en bombardant le seul sentier de chèvres par où on le lui apporte ; ou bien encore vous découvrez que l’ennemi vous domine de quelque corniche ou protubérance de rocher que vous ne soupçonniez pas : alors vous redescendez pour faire une tentative ailleurs. Et voilà comment on procède tout le long de cette section de la frontière où le terrain ne permet pas de faire autrement.

Il existe une autre méthode quelque peu différente. Vous choisissez un sommet de montagne que vous avez lieu de croire occupé par l’ennemi et fortifié par lui. Vous vous accrochez là avec les dents, vous vous agrippez avec les pieds. Vous minez le roc dur avec des perforateurs à air comprimé sur autant de centaines de mètres que vous jugez nécessaire d’après vos calculs. Quand vous avez fini, vous remplissez vos galeries avec de la nitroglycérine et faites sauter la montagne, puis vous occupez le cratère avec des hommes et des mitrailleuses aussi vite que vous le pouvez. Vous vous assurez ainsi une position dominante d’où vous pouvez gagner d’autres positions par les mêmes moyens.

— Mais sûrement, vous connaissez tout cela. Vous avez vu le Castelletto...

Il se dresse là-bas dans la clarté du soleil, bastion crevassé, couronné de pics pareils aux racines d’une molaire. Le plus grand pic a disparu : un ravin, un cratère et un vaste éboulement de rocher ont pris sa place. Oui, j’ai vu le Castelletto, mais cela m’intéresse de voir les hommes qui l’ont fait sauter.

— Tenez, celui-ci : il a été de l’affaire.

Un homme aux yeux de poète ou de musicien riait et opinait de la tête. Oui, il en convenait, il avait été mêlé à l’affaire du Castelletto, il avait même écrit un rapport là-dessus. On avait employé trente-cinq tonnes de nitroglycérine pour cette mine. On les avait montées là à bras, — au jour lointain où il était lieutenant en second et où les hommes vivaient dans les tentes, avant la construction des funiculaires, — il y a déjà longtemps.

— Et c’est votre bataillon qui a fait tout cela ?

— Non, non, il n’a pas tout fait... Mais nous avons rempli