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— C’est là que nos hommes se tenaient avant que les Autrichiens eussent été repoussés dans leur dernière attaque, — l’attaque de l’Asiago, comme vous l’appelez, n’est-ce pas ? Il fallut aux Autrichiens dix jours pour descendre à mi-chemin du sommet de la montagne. Nos hommes poussèrent cette tranchée droit en haut de la colline, comme vous voyez, puis ils grimpèrent et les Autrichiens furent enfoncés. Ce n’est pas aussi terrible que l’on pourrait croire, parce que, dans une opération de ce genre, si l’ennemi là haut fait un faux pas, il roule jusqu’au bas parmi vos hommes, tandis que si c’est vous qui trébuchez, la glissade ne fait que vous ramener au milieu de vos amis.

Je murmurai :

— Qu’est-ce que cela vous a coûté ?

— Hélas ! cela nous a coûté gros. Et sur cette montagne, de l’autre côté de la gorge, — mais le brouillard ne vous permet pas de la voir, — nos hommes ont combattu pendant une semaine, le plus souvent sans eau.

Il me raconte la longue bataille acharnée où les Autrichiens crurent, jusqu’à ce que le général Cadorna les détrompât, qu’ils tenaient à leur merci les plaines du Sud. Je ne me soucierais pas d’être Autrichien, avec le Boche par derrière et l’Exercitus Romanus en face de moi. Ce fut le plus tranquille des fronts et la plus discrète des armées. Elle vivait parmi les forêts, dans de véritables villes où nous retrouvons de la neige boueuse amoncelée en tas dont les flancs creux laissent échapper toutes les immondices que l’hiver y a accumulées. Des bataillons de corvée ont nettoyé tout cela. D’autres équipes se hâtaient de boucher les trous d’obus : les camions n’aiment pas à être arrêtés dans leur marche.

Une autre ville, improvisée parmi les pierres, n’abrite plus que des cuisiniers et un ou deux cantonniers ennuyés. La population s’est transportée en haut de la montagne afin de creuser et faire sauter à la dynamite ; en bas, dans des vallons boisés qui ressemblent à des parcs, des bataillons glissent comme des ombres à travers les brouillards, entre les pins. Quand nous arrivons à une lisière, quelle qu’elle soit, il n’y a, comme à l’ordinaire, rien d’autre que de l’herbe arrachée sur une certaine largeur et une maison « insalubre » qui, dans ses flancs ravagés par le canon, a jadis abrité des hommes, et où l’eau de pluie s’égoutte dans les caves au plafond constellé de