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Les Allemands n’ont eu garde de laisser tomber cette avance naïve. En hâte ils constituent des régimens de fraternisation, formés d’hommes parlant plus ou moins le russe. On se visite de tranchée à tranchée ; on se promène au milieu des réserves de l’arrière : « Entrez, messieurs, vous êtes chez vous ! » On échange de l’eau-de-vie contre du pain, de la viande ou du savon. L’Allemand ou l’Autrichien arrive, pourvu de petits couteaux, de chaînes de montre, toute une bimbeloterie semblable à celle dont nos explorateurs se servent pour s’attirer l’amour et la confiance des peuplades nègres du Centre africain ! Mais, tout en offrant ses petits cadeaux, le bon Teuton jette autour de lui des regards attentifs.

« Pendant que les régimens russes fraternisent sur le front avec les Allemands, écrit un artilleur à un journal de Pétrograd, ceux-ci s’avancent jusqu’à 25 et 30 verstes en arrière, relèvent les plans de nos fortifications et l’emplacement de notre artillerie. Au cours d’une bataille récente, toutes les batteries du secteur, si bien dissimulées que les avions allemands n’avaient jamais réussi à les repérer, ont été atteintes par les canons ennemis. Tel est le résultat de ces hypocrites embrassades. »

— En effet, raconte un soldat de Galicie, sur notre front on fraternise. Le soir, nous nous rencontrons avec les Autrichiens et nous causons en buvant le thé.

— On ne tire donc plus là-bas ?

— Mais si ! tous les jours. Comment ne pas tirer lorsqu’on est deux armées, face à face ?

— Alors, pendant la journée vous vous tuez de part et d’autre une dizaine d’hommes, puis, le soir, vous vous embrassez et vous buvez le thé ?

— Des hommes ? Non, non, nous n’en tuons pas ! Nous tirons contre une montagne, les Autrichiens contre une autre, et, le soir, on boit le thé ensemble... Mais comment ne pas tirer quand on est là pour ça ?

Une sœur de charité sort de chez moi. Elle arrive des environs de Cernowicz.

— Eh bien ! lui ai-je demandé, que se passe-t-il dans ce secteur que j’ai vu jadis si actif ?

— Comme ailleurs, on déserte, on fraternise. Il y a quelques jours, j’ai demandé à un soldat : « Est-ce vrai que, toi aussi, tu veux retourner au village ? — Pourquoi ne pas y