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l’hémicycle, suivie par mon « poilu » qui fixe sur moi de pauvres bons yeux de chien battu et continue à porter sous le bras son énorme paquet de « proclamations. »

Goutchkoff a quitté la salle, qui est encore tout émue de son départ. Visage rasé, cheveux noirs en boucles, un homme s’agite à la tribune, cette mémorable tribune de la Douma où les voix de Radzianko, de Milioukoff, de Choulguine, de Kérensky ont fait entendre, du début de la guerre à la Révolution, de si terribles vérités et ont jeté de si vibrans appels.

Pendant près d’une heure, aux applaudissemens nourris de l’assistance, Zinovieff tonne contre le capitalisme, le militarisme, l’impérialisme... des Alliés. Ce sont toujours les mêmes sophismes, cent fois entendus et habilement mêlés à quelques vérités fondamentales destinées à les faire accepter. Seuls les Allemands sortent blancs comme neige de ce terrible réquisitoire.

— Comment pouvez-vous applaudir ce faux pacifiste ? ai-je demandé à un officier assis près de moi.

— Parce qu’il parle bien, mais on retient de son discours ce que l’on veut !

Et ils le croient ! Ils s’illusionnent assez pour se croire capables d’échapper à ces pernicieuses influences, eux si faibles au fond, si malléables, nés pour devenir la proie du premier homme qui se sentirait de taille à leur imposer sa volonté !...

Brisée d’émotions je n’ai pas le courage de rentrer chez moi. Je monte chez une amie, la princesse Guévolanié, — veuve du député géorgien mort récemment sur le front du Caucase. Les fenêtres de son appartement, tout proche, s’ouvrent sur les fenêtres des jardins encore dépouillés du palais de Tauride. La neige tombe en rafales, tandis que chez nous, dans les jardins de France, tous les lilas doivent être en fleurs !...

Un des neveux de la princesse, élève d’une école militaire de Pskoff, annonce que les Russes évacuent cette ville et transportent tout à Novgorod. Les mêmes mesures ont déjà été prises pour Réval. Allons-nous voir se lever les jours annoncés par le général Korniloff ?

La princesse, qui fut avec son mari une révolutionnaire d’avant la Révolution, m’exprime ses craintes sur la situation intérieure et extérieure. Et surtout elle me parle de son pays. Placée par la confiance de ses compatriotes à la tête du Comité