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Rappelons le texte de l’historien Heinecke, dans son article « Le Rythme de la Guerre mondiale, » paru en 1916 :


« Nous avons commencé la guerre comme une guerre d’écrasement, au sens militaire du mot. Préparés par les expériences des guerres de Napoléon et de Moltke et par les enseignemens de Clausewitz, nous avons tout fondé sur un brusque rassemblement de nos forces ; elles devaient fondre toutes ensemble sur l’adversaire, se précipiter en avant dans un brusque mouvement concentrique, aller chercher et anéantir, en rase campagne, le gros des forces ennemies. Le premier but était d’écraser tout de suite la France et de la contraindre à traiter. Si cela réussissait, nous pouvions nous retourner immédiatement et, avec les meilleures chances de succès, poursuivre le même plan militaire contre la Russie. »


Stegemann, critique militaire du Bund, auteur à demi officieux d’une histoire de la guerre qui paraît en Allemagne, fait à peu près le même exposé du plan général allemand :


« Prenant pour exemple la bataille de Cannes, le maréchal de Schlieffen a brillamment étudié et fixé le type d’une bataille de destruction procédant par double enveloppement. En réalité, dans l’histoire, la plupart des batailles furent décidées par un enveloppement ou un mouvement tournant ; à vrai dire, la manœuvre enveloppante est beaucoup plus périlleuse dans l’offensive que dans la défensive. Il semble que l’armée assaillie, prise dans une manœuvre enveloppante, n’ait plus qu’un moyen de salut : c’est de se retirer précipitamment avant que l’enveloppement ne soit accompli ; si elle n’est enveloppée que d’un côté, les deux tiers de cette armée peuvent être sauvés... Il n’y a de « bataille de Cannes » que dans les conditions suivantes : l’assaillant subit la loi de la plupart des offensives, « il marche à tâtons dans l’inconnu, » comme dit Clausewitz ; mais, à un moment donné, il se voit engagé en un combat de front où son centre présente encore une force suffisante, et il n’attaque la manœuvre par les deux ailes que quand l’ennemi attaque de toutes ses forces sur le centre. »


Le critique militaire à qui nous empruntons ce texte a bien senti (après coup) le risque d’une telle conception qui, transportant dans la stratégie les méthodes de la tactique, met l’assaillant dans une situation inférieure, non seulement parce qu’il « marche à tâtons dans l’inconnu, » mais aussi parce qu’en raison de l’ampleur de la manœuvre, l’armée assaillie « peut se retirer précipitamment avant que l’enveloppement ne soit