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Mais à Rome, en ce temps-là, la pensée catholique visait moins à s’épanouir qu’à se barricader : ses attitudes étaient moins conquérantes que défensives. Le thomisme, tel que l’enseignaient avec leur fraîche bonne volonté ces premiers docteurs romains, aimait mieux négliger les sciences récentes que se les assimiler, et que s’en laisser vivifier, et que les vivifier elles-mêmes : il exhibait une demi-arrogance qui masquait peut-être, encore, une demi-timidité [1].

Léon XIII ne concevait pas, lui, que l’Eglise de Dieu pût être timide. Pas de timidités vis-à-vis de l’histoire, et sous l’œil apeuré des custodes les archives du Vatican s’ouvraient ; pas de timidités vis-à-vis des démocraties, et leurs pèlerinages entraient dans Saint-Pierre par la porte même qui dans le passé ne livrait accès qu’aux rois ; pas de timidités vis-à-vis des problèmes sociaux, et le Pape recommençait, en un siècle de laïcisme, à se mêler des choses de ce monde en légiférant sur elles ; pas de timidités, enfin, vis-à-vis des sciences, et Léon XIII, à la Noël de 1880, invitait le cardinal Dechamps, archevêque de Malines, à installer dans ce grand foyer de sciences qu’était l’Université de Louvain une chaire de philosophie thomiste.

Le souvenir d’un David de Dinant, d’un Henri de Gand, d’un Siger de Brabant, d’un Gilles de Lessines, témoignait que l’esprit belge pouvait se familiariser avec les complexités de la scolastique ; et le passé de Louvain, qui avait en face de la Réforme représenté la culture catholique, permettait d’espérer pour un renouveau de cette culture l’abri de l’Université. Léon XIII ne voulait pas d’un enseignement ésotérique, murmurant à l’oreille de quelques séminaristes bien défendus l’exposé de quelques vérités anciennes, précieuses et fragiles ; il voulait un thomisme de plein air, un thomisme rayonnant, un thomisme pour laïcs, qui « sculpterait profondément la philosophie chrétienne dans les esprits » des étudians de Louvain, futurs députés et futurs ministres.

A la suite des infortunes d’Ubaghs, Louvain, nous l’avons dit, était fatigué de philosopher. Le droit social de l’Église, les divergences entre l’ « hypothèse » et la « thèse, » la compatibilité des principes du Syllabus avec la constitution belge, avaient suscité entre l’économiste Charles Perin et les catholiques

  1. Voir C. Besse, Deux centres du mouvement thomiste, Rome et Louvain. (Revue du Clergé français, janvier et février 1902.)