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Luther [1], avait ainsi, jadis, péché contre l’Allemagne : elle fut punie. Mais les flammes de la Kultur s’éteignent ; celle de l’esprit subsiste. L’œuvre entreprise par Mgr Mercier était une œuvre à longue échéance : par la pensée, il y attelait des générations. Les élans qu’il avait donnés doivent survivre è la guerre, comme ils survivaient en 1906 à son éloignement de Louvain.


V

C’est la marque des grands initiateurs de pouvoir s’effacer de leur œuvre sans qu’elle périclite : elle vit d’une vie propre, par eux, mais en dehors d’eux ; l’ayant servie sans avoir voulu la confisquer, ils peuvent, le jour venu, la détacher d’eux-mêmes, comme le fruit mûr se détache de l’arbre ; et lorsque leur âme est elle-même une âme détachée, ils trouvent dans l’âpreté du geste un parfum de sacrifice. Pie X, en 1906, proposa ce geste à Mgr Mercier : il le fit archevêque de Malines, cardinal. Il fallut laisser inachevé son cours de philosophie, où sa plume projetait, après tant d’étapes, d’aborder enfin Dieu ; il fallut prendre congé de ces jeunes gens qui depuis un quart de siècle étaient l’entourage de son âme. Mais leur appartenir, c’était encore s’appartenir à lui-même : il les aimait tant ! La volonté papale lui rappelait qu’il n’appartenait qu’à Dieu. Il accepta son nouveau terrain d’action, et d’emblée s’y installa.

Comme il se mettait tout entier dans son œuvre nouvelle, tout de suite, dans l’archevêque de Malines, le professeur se retrouva. Prenant congé de ses étudians, il leur parlait des responsabilités de l’épiscopat : « Chers étudians, continuait-il, je ne veux pas avoir peur ; » et il leur rappelait le petit livre du psychologue italien Mosso, d’après lequel, dans une lutte à armes égales, celui qui a peur est le vaincu [2]. Dans son premier mandement, un autre psychologue faisait son apparition, William James : il le citait pour montrer par quelle force mystérieuse l’âme du croyant triomphe de la souffrance, et il ajoutait : « Il ne vous aura pas déplu d’entendre les affirmations de notre Évangile et notre expérience chrétienne confirmées par l’observation scientifique la plus désintéressée [3]. »

  1. Delannoy, l’Université de Louvain, p. 104. — Noël, Louvain, p. 110.
  2. Mercier, Œuvres pastorales, I, p, 22-23.
  3. Ibid., I, p. 60.