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souvent tout au long des heures studieuses, sans jamais se laisser comprimer par ces impressions d’aridité qui parfois humilient d’une couronne d’épines la royauté intellectuelle du savant. Certains moines du Moyen âge s’inquiétaient de l’antagonisme entre la dialectique scolastique et l’intuition mystique, entre la pensée et l’amour, entre l’intellectualisme et la charité : dans une personnalité comme le cardinal Mercier, cet antagonisme se résout en unité. Et par ces deux livres d’instructions qui s’appellent : A mes séminaristes, et Retraite pastorale, le fondateur de la néo-scolastique rejoint ces grands docteurs qui savaient être des maîtres de prière aussi bien que des maîtres de pensée, un Thomas d’Aquin, un Bonaventure, un Duns Scot.


VI

Six ans après sa consécration épiscopale, le cardinal fit un recueil de ses œuvres pastorales : elles occupèrent trois volumes, où beaucoup de paroles sont des actes. Chef de trois mille prêtres et de 2 300 000 fidèles, il est soucieux, surtout, d’imprimer des directions, de dire une fois pour toutes, sur chaque question, ce qui doit être dit. C’est aux prêtres, aux hommes d’œuvres, de concerter les détails d’application, les cadres secondaires de l’action, et de faire, fructifier, comme une semence, le verbe épiscopal. Le cardinal oriente, ce qui est déjà organiser à demi ; à eux d’achever. Il vise, lui, à propager un esprit.

Vivant en un pays où, tous les six ans, la victoire du parti catholique est un succès temporel pour le clergé, il semble qu’après avoir publiquement fait entendre, pour ces triomphes électoraux, l’Alleluia qui convient, il éprouve le besoin de corriger, par d’austères conseils, la périlleuse griserie qui pourrait s’emparer des vainqueurs. L’orgueil sacerdotal est un sentiment qu’il ignore ; les responsabilités du prêtre lui apparaissent comme si graves que la grandeur même du sacerdoce devient une occasion de s’humilier. Le cardinal combat tout esprit de caste. Il encourage les prêtres à souhaiter l’aide des laïcs ; il annihile les objections qui les amèneraient à la refuser. Il va même, parfois, jusqu’à leur suggérer l’imitation des laïcs, et de quel laïc ?... l’ouvrier. Parlant devant un auditoire populaire, il raconte avoir connu dans sa jeunesse un prêtre qui s’était proposé pour modèle de vie... « savez-vous