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l’interprétation kantienne du sentiment du devoir. » Ainsi constatait-il les embarras du kantisme, pour lui opposer la synthèse de la philosophie catholique [1]... Quelques années passaient, et la morale kantienne apparaissait comme une vaincue de la guerre : on sentait que l’Allemagne ouvrière de violence, que l’Allemagne puissance de mal, pouvait, en épiloguant un peu, trouver en certains recoins de cette morale une oblique absolution. Et la conscience moderne, s’avouant maintenant un peu déçue par cette morale qu’elle avait tant aimée, voyait le cardinal en arborer une autre, plus impérieusement exigeante pour l’ensemble des actes humains. Il en avait naguère, comme professeur, posé les assises et défini les bienfaits : aujourd’hui, pasteur et défenseur d’un peuple, il avait l’âpre et douloureuse occasion de la mettre à l’épreuve, et d’étaler tout ce qu’elle recelait de ressources pour le redressement du faible et l’humiliation du violent. Ainsi semblait-il que ces terribles heures eussent la vertu d’unifier les deux périodes de sa vie. Dans son cher Louvain, il n’y avait plus que des décombres ; mais dans les accens par lesquels ce philosophe devenu chef d’Eglise savait venger la Belgique et l’honneur humain, c’était encore un souffle de Louvain qui passait.


VIII

En acceptant la primatie belge, Mgr Mercier avait dit :


Je ne veux ni gémir sur le passé qui n’est plus, ni rêver follement de l’avenir qui n’est pas. Le devoir de l’homme se concentre sur un point, l’action du moment présent. A quoi donc se réduit, pour chacun de nous, le jeu des causes secondes dont la Providence tenait, dans notre passé, les fils ? A une chose unique, à préparer le moment présent. C’est ce moment, donc, c’est la disposition providentielle d’aujourd’hui, que nous voulons adorer, bénir, et, fût-ce avec des serremens de cœur ou même des frissons, intrépidement réaliser [2].


Ces paroles, qui soulignaient un tournant décisif de sa carrière, résument la philosophie de son existence.

Il y a des grands hommes qui visent à gouverner les circonstances ou même à les créer, et qui mettent tout leur art et tout leur orgueil à fléchir, orienter, assujettir à leur volonté

  1. Mercier, Œuvres pastorales, II, p. 44 et 53.
  2. Ibid., I, p. 23.