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et leurs visages des traces de sang, puis délaça sur leurs pieds gonflés les petites chaussures. Eux, tout apeurés, se laissèrent nourrir, déshabiller, embrasser sans résistance et peu à peu la stupeur de leurs jeunes yeux sauvages fit place à cette sorte d’engourdissement enivré que l’on voit aux enfans accablés de fatigue. Gotton les étendit tous les cinq, côte à côte, dans le lit. Luc et elle se couchèrent par terre, mais de quart d’heure en quart d’heure elle se relevait pour veiller le sommeil des enfans. L’aîné était rouge et agité ; il semblait avoir la fièvre ; les autres dormaient paisiblement. Gotton admirait les boucles blondes et les boucles rousses qui se mêlaient sur le traversin, les joues qui dans le sommeil semblent se gonfler d’un sang plus chaud, les lèvres tendres qui, par instans, remuaient, dociles au rêve fugitif, les paupières si blanches, si douces, les cils dorés. De quel ardent regard elle caressait les petites têtes ! Voilà que se réalisait ce qu’elle avait tant rêvé, la maison pleine d’enfans ! Dans quelques jours ils riraient, ces petits, ils oublieraient, au moins les plus jeunes, la pauvre femme qui les avait portés et allaités, et qui gisait maintenant, le ventre ouvert, dans une chambre de sa maison. Ils embrasseraient Gotton, l’adultère, pour qui leur mère avait été méprisée ; elle peignerait leurs beaux cheveux. Non, Gotton sentait bien que ce n’était pas possible. Alors, qu’est-ce qui allait se passer ? Qu’est-ce que Luc voudrait faire ? Elle ne doutait pas que maintenant les enfans ne lui prissent tout le cœur. Son désir d’être mère lui avait fait comprendre ce que peut être l’amour des parens pour leurs petits. Il lui semblait inévitable que cet amour finît par être le plus fort, et par vaincre, dans le cœur paternel, l’amour de la femme. Elle revit encore une fois le printemps de trois années auparavant, et chacun de ses pas vers la faute. Elle se dit qu’elle était entrée dans la vie comme une pauvre folle qui ne sait rien et ne veut pas écouter ceux qui savent. Le mystère que l’enfant apprend par la tendresse dans la chaleur des bras maternels, son père ne le lui avait pas fait connaître ; elle l’avait découvert trop tard, femme, dans sa propre souffrance.

Jean-Baptiste se retourna dans le lit en murmurant : « Maman ! maman ! » Gotton le regarda plus fixement. Elle lui voyait la ténacité de Luc, marquée sur le visage. Elle songeait que celui-là n’oublierait pas. Il la haïrait avec force. C’était le