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que celui qui l’a tué voulait l’enterrer là, et puis il aura eu peur, il l’a caché comme il a pu. Ils étaient tous ivres ici hier soir et il parait qu’on a entendu venir des soldats d’Iseghem qui chantaient et criaient comme des fous après l’incendie et toutes les saletés qu’ils ont faites. L’homme qui a été tué devait être de ceux-là, car pour ceux d’ici ils ont déjà passé l’appel et s’il en manquait un nous aurions entendu du bruit. Mais quand on l’aura trouvé, c’est nous qui payerons ; nous serons incendiés comme à Iseghem, il y a des chances ; il faudrait essayer de partir avant.

— Luc, dit-elle, comment veux-tu ? avec les enfans, sans charrette ! Regarde Jean-Baptiste comme il a la fièvre ; tu ne le ferais pas marcher une demi-lieue, et où irions-nous ?

Il y eut un silence, et puis Gotton dit brusquement :

— Va de ma part chez le curé de Metsys, raconte-lui tout ce qui s’est passé, et que nous avons les enfans chez nous, et demande-lui pour les sauver qu’il nous prête sa carriole et sa jument. Il le fera, il est très bon. Alors tu pourras nous mener jusqu’à Malines. Et dis-lui qu’il me bénisse, et qu’il prie pour moi.

— Je ne peux pas te laisser seule ici. Il faut que tu viennes avec moi et que tu emmènes les enfans.

— Non, fit-elle. En une heure et demie, tu seras de retour ; s’il arrivait malheur avant dans le village, nous irions t’attendre sur la route.

Elle ajouta avec une soudaine fierté :

— On ne me verra pas mendiante à Metsys !

II n’insista pas, car elle avait un regard qui promettait de ne pas céder. Et il partit en hâte.

Pendant qu’il parlait, dans un éclair, Gotton avait entrevu sa rédemption. Il lui semblait qu’une grande miséricorde venait de lui faire signe ; elle savait maintenant ce qu’elle voulait faire. A peine Luc fut-il parti, qu’elle alla chercher dans un vieux tiroir une petite bouteille d’encre et une plume. Elle ouvrit une boite de papier à lettre ornée de fleurs qu’il lui avait naïvement rapportée un jour, sans songer qu’elle n’écrivait jamais à personne. De sa main ignorante, en gros caractères maladroits, elle écrivit :

« Luc, il faut que je m’en aille ; je ne peux pas élever ces petits après tout le mal que j’ai fait à leur mère. Je les aimerais,