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d’assister aussi régulièrement qu’elle le pouvait à la messe de onze heures. Mais épuisée par cet effort, elle lisait les vêpres dans son fauteuil. Ces raisonnables satisfactions une fois accordées à sa conscience et aux usages, elle ne s’occupait plus du tout des choses de l’église, sinon lorsqu’il s’agissait de quelque office ou service solennel à l’intention des défunts de la famille.

Ces fondations pieuses tenaient une grande place dans les préoccupations testamentaires, comme dans l’existence de toute une confrérie de vieilles demoiselles, qui semblaient n’avoir d’autre raison d’être et d’autre emploi au monde que d’assister aux messes des morts. Le dimanche, au prône, le curé ou les vicaires, avant de commencer leur sermon, annonçaient une longue kyrielle de ces offices funèbres, et l’on entendait ainsi hebdomadairement rappeler des noms de paroissiens enterrés depuis plusieurs siècles, dont personne ne se souvenait, dont les familles mêmes étaient depuis longtemps éteintes. Pendant une partie de mon enfance, j’ai été obsédé par une de ces rengaines dominicales qui revenait inexorablement à la fin du programme liturgique :

— Samedi, messe de fondation, pour M. Flayelle et son épouse.

Ma grand’mère elle-même ignorait qui étaient ce « M. Flayelle et son épouse, » et moi je les aurais volontiers donnés au diable. Ce n’est que bien longtemps après que j’ai senti tout ce qu’il y avait de touchant et de profondément humain dans cette coutume de la commémoration des morts. On peut trouver seulement que certains morts privilégiés abusaient un peu trop de l’attention et de la charité de leur prochain. Sans les spoliations de ces dernières années, je suis sûr que, jusqu’à la consommation des temps, les chrétiens de Briey eussent entendu, chaque dimanche, tinter à leurs oreilles les noms de « M. Flayelle et de son épouse. »


Tout cela intéressait médiocrement ma grand’mère. Elle avait, au logis, d’autres chats à fouetter, — et d’abord une ribambelle d’enfans. En ayant eu douze, elle savait, comme on dit, ce que c’est que d’avoir des enfans et surtout de les élever. Il lui fallut, pour cela, des trésors de patience, dont ses filles s’émerveillèrent plus tard. Et c’est peut-être pour cela, parce que les bambins ne représentaient à ses yeux que de la peine