Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/853

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand cuveau à lessive, quelquefois flanqué d’un récipient plus petit, qu’elle appelait, sans nulle déférence, le « cuvion ovale. »

De même pour la cuisine et tout le ménage : elle se voyait obligée d’en abandonner le soin aux servantes. L’essentiel, à ses yeux, c’était que les rôtis ne fussent point trop « rameuchis, » ou encore « happés » par la chaleur âpre du four, ou enfin les légumes trop « débrôlés. » Elle ne raffinait pas non plus sur le soin du linge et des appartemens. Pourvu qu’il n’y eût pas de « frandouilles » aux serviettes, ni de « minons » sous les meublés, — c’est-à-dire ni effilochages, ni duvet, elle se tenait pour satisfaite. Des meubles solides et carrés, — les commodes Empire avec leurs pesantes applications de cuivre, les lits en bateau de l’époque Louis-Philippe avec leur placage d’acajou bien luisant, contentaient tous ses désirs de luxe et de magnificence. D’ailleurs, les bibelots n’étaient pas de son temps. Quand, vers la fin du second Empire, ils commencèrent à envahir les maisons bourgeoises, elle ne cessait de pester contre ces inutilités sans valeur, qui lui dérangeaient son esthétique :

— Enlevez-moi ces « totés ! » disait-elle à ses filles : ce ne sont que des ramasse-poussière !

Dans sa brasserie, elle avait tant à faire, à surveiller, à commander, à gourmander, qu’il ne lui restait vraiment plus de loisir pour les vaines élégances. Outre sa maison, il lui fallait encore s’occuper des remises, des jardins, du pigeonnier, de la basse-cour, qu’elle nommait la « quênerie. » Au milieu de tous ces tracas, ses seuls momens de récréation étaient les jours où elle avait la repasseuse, ou la couturière. Celles-ci étaient deux fonctionnaires attitrées de la maison, où elles venaient à jour fixe. La couturière surtout, — une parente pauvre, — faisait la joie de ma grand’mère. Elle lui contait tous les cancans de la ville, lui apportait des nouvelles de tout le pays environnant, tant ses relations étaient étendues et brillantes ! Nul n’était ferré comme elle sur les généalogies, les alliances, les héritages. Elle annonçait les morts, généralement dues à une congestion :

— Vous ne savez pas ?... Mme Z... vient de mourir d’une attaque. Ce sont les X... qui héritent : les Y... n’auront rien !...

Et, sur le récri de ma grand’mère, elle prononçait péremptoirement :

— Eh bien ! oui, n’est-ce pas ? ils ne sont pas du même « toquage ! »