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l’attaque devait se produire en quatre « vagues » successives ; les deux dernières ne parviennent même pas à déboucher. Il se passe alors tout un mois avant que l’ennemi, en dehors des affaires de détail, soit capable de monter un nouveau coup de grand style : l’attaque est lancée le 3 juillet, sur un front de 17 kilomètres, avec un effectif de 45 000 hommes. Elle s’écrase sur nos positions, sans les faire bouger d’une ligne, sans faire un prisonnier, et reflue en désordre avec des pertes cruelles. Le fait est grave. « Toute doctrine défensive est fondée sur l’axiome que l’assaillant s’use plus vite que le défenseur. Si c’est le contraire qui arrive, si la défense perd plus de monde que l’attaque, tout en cédant le terrain et en subissant la dépression morale qui accompagne le recul, la défensive n’a plus de sens militaire, et n’est plus qu’un aveu désastreux d’impuissance [1]. »

Un désastre : le mot n’est pas trop fort pour exprimer le résultat de la campagne par rapport à l’armée allemande. La perte semble passer la proportion connue. « Incroyable, » nous dit une lettre d’Allemagne. En prenant la mesure ordinaire, qui est d’un prisonnier pour 4 ou 5 blessés ou tués, les 63 000 prisonniers comptés jusqu’au l*"" juillet devraient donner une perle totale, à cette date, de 250 000 ou de 300 000 hommes. Or, nous tenons de bonne source que la perte réelle était, le 27 mai, de 350 000 hommes ; ce compte ne comprend ni les 30 000 hommes de l’affaire de Messines, ni la « note » des contre-attaques des 30 et 31 mai à Moronvilliers, du 3 juin sur le plateau de Craonne, du 20 juin à Vauxaillon, du 29 juin autour de Cerny, du 3 juillet sur les dix-sept kilomètres du Chemin des Dames, des 20 et 22 juillet enfin sur les promontoires de Vauclerc et de Californie. Là s’est engagée une bataille qui rappelle les plus sanglantes époques de la bataille de Verdun. A un an d’intervalle, le Kronprinz renouvelle les pratiques meurtrières de sa tactique enragée. Il avance sur des hécatombes. Chacun de ses pas coûte un carnage. On sera modéré en estimant à 450 000 ou à 500 000 hommes l’ « addition » des trois premiers mois de la campagne.

Une des conséquences immédiates a été celle-ci. On a vu que l’Allemagne, par un prodigieux effort, s’était imposé un

  1. Journal des Débats, Situation militaire.