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Il a un chapeau qui le rend invisible et, partant, redoutable. Son nom est formé de deux mots russes : tchorné (noir) et moré (mer). Pour les conteurs, Tchernomore représente la Mer Noire. Chemin de Byzance la grecque, — de Byzance convoitée des Russes dès le temps de sainte Olga qui y alla chercher le baptême, — la Mer notre a toujours été en Russie l’objet de mille récits merveilleux. Le grand poète Pouchkine a symbolisé dans un de ses contes la capitale de l’ancien empire romain d’Orient, devenue grecque, sous le nom de Loubmila qui signifie Chère-aux-peuples.

Or deux cents marins de la Mer Noire, et des délégués de la mer Baltique, viennent de tenir à Pétrograd en présence des missions militaires alliées, de la mission américaine et de nombreuses délégations, un meeting qui fut une splendide manifestation en faveur de l’œuvre patriotique si noblement entreprise par Kérensky. Les matelots de la Mer notre ont des titres à l’admiration et à la sympathie de la Russie révolutionnaire. En 1905, sous la conduite du lieutenant Schmidt, surnommé l’Amiral rouge, trois vaisseaux se révoltèrent : le Potemkine, le Tavritchiski et l’Otcliakoff. On n’a pas oublié les événemens : la révolution réprimée à Pétrograd (alors Saint-Pétersbourg), les navires révoltés obligés de faire leur soumission, tandis que le Potemkine, irréductible, continuait à promener dans la Mer notre le drapeau de la liberté. Ce qui est moins connu, c’est la fin de cette odyssée révolutionnaire. J’en ai recueilli le récit, il y a deux jours, de la bouche même d’un des matelots du Potemkine, à la gare Nicolas où nous étions venues, une amie et moi, attendre le retour des déportés.

« Huit cents d’entre nous débarquèrent en Roumanie, nous dit le marin. J’étais de ce nombre. Comment vivre là-bas ? Ce fut d’abord très dur. On ignorait la langue ; on avait sur soi très peu d’argent… Heureusement j’avais un métier. Mécanicien à bord du Potemkine, je me présentai dans plusieurs usines. Enfin, je fus embauché. Entre mes heures de travail, je voyais souvent mes camarades. La révolution ayant échoué en Russie, il ne fallait pas songer au retour. Je me croyais en Roumanie pour toute ma vie. Un jour, mes compagnons m’annoncèrent qu’un très riche Russe, dont j’ai oublié le nom et qui habite l’Amérique, leur proposait de venir dans ce pays et leur en fournissait les moyens. Presque la moitié d’entre eux