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également chers à l’imagination japonaise, aussi éprise du courage et de l’héroïsme que touchée de l’esprit de miséricorde et de pitié. Le thème prêtait à l’exaltation des sentimens les plus élevés de l’âme humaine et servait à illustrer de la façon la plus émouvante la doctrine bouddhiste du « karma, » c’est-à-dire de cette loi de compensation et de responsabilité selon laquelle deux existences sont comme rivées et enchaînées l’une à l’autre pour leur mutuelle rédemption et leur commune ascension vers la paix finale du Nirvana.

Au début du drame, Kumagai, devenu le moine Rensel, et qui fait son entrée en costume de bonze voyageur, un rosaire à la main et l’éventail passé dans sa ceinture, annonce son intention de se rendre à Suma et Ichino-tani où a eu lieu la bataille, et d’y prier pour la délivrance de l’esprit et de l’âme du jeune Atsumori qu’il a tué :


Puisque ce monde n’est qu’un songe, s’en réveiller
Et le rejeter, c’est être dans le réel.


Arrivé au lieu de son pèlerinage, il rencontre sur la scène deux faucheurs portant sur l’épaule un bambou auquel sont attachées des herbes. L’un des faucheurs, le personnage principal (« shite »), qui n’est autre que l’esprit du jeune Atsumori, joue de la flûte, de cette flûte dont il avait joué pendant sa vie, au moment même de la bataille où il périt, et qui fut retrouvée sur son corps dans un fourreau de brocart.


Aux sons de la flûte des faucheurs se mêle
Le souffle du vent qui passe sur la lande.
C’est l’heure du retour, à la tombée du soir.
Au bord de la mer de Suma, bien court, hélas ! est le chemin
Qui mène à ma maison et en ramène,
S’enfonce dans la montagne et ressort sur la grève ;
Et de ma triste vie tristes sont ici les labeurs.


[Cette déclaration mélancolique est appuyée, en sourdine, par le chœur, et, aux passages les plus émus, par la flûte et les tambourins de l’orchestre.]

Le moine Rensei qui naturellement n’a pas reconnu, sous l’habit de faucheur, l’esprit d’Atsumori, s’étonne qu’un homme de cette condition joue si bien de la flûte, et d’une flûte si précieuse. A quoi le « shite » répond, avec l’accompagnement