Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courageusement ont retroussé leurs manches et se sont mis à la besogne. Le paysage en reçoit de l’imprévu : un libraire laboure ses pruniers et un conseiller à la cour sa vigne. Sans doute, ces dévouemens ne sont pas désintéressés ; mais l’impérieuse nécessité qui les commande n’abolit pas le mérite de travaux fort pénibles à ceux qui n’en ont pas l’habitude. Plus d’un d’ailleurs aura senti la noblesse de sa sueur sur des champs où celle de ses pères a préparé sa bourgeoisie. Quelques blasons se terniraient légèrement par l’inculture d’un domaine dont on porte le nom.

Les bourgeoises ont suivi leurs maris. La plupart sont devant le fourneau de la cuisine à la place de la servante envoyée au travail du dehors. Elles redoublent d’ardeur dans les soins de la basse-cour. On en cite, dont les doigts passaient de la broderie au piano, qui ont conduit les brabans, fauché les foins et moissonné les blés. Qu’il y ait de la gaucherie, de l’inexpérience, de l’insuffisance dans tout cela, j’en demeure d’accord. Quelque vieux paysan aura souri, mais d’un sourire vite tombé ; le temps est passé de certains sourires, et chacun a sa part de pensers plus sévères. Si modeste soit-il, le résultat du geste est précieux, et puis il y a le rayonnement de l’exemple qui soutient, confirme, éclaire et exalte la pensée commune de l’effort.


La volonté collective de l’effort est profonde et ardente, encore que certaines idées, qui se montrent et flottent dans l’air, sembleraient pouvoir l’atteindre et la décourager.

Par exemple, les lourds sacrifices que nous consentons sont-ils justifiés pour maintenir une organisation de travail, qui peut-être ne pourra survivre ? Les cadres anciens résisteront-ils à l’effroyable crise de main-d’œuvre dont la terre va souffrir ? Tout cela ne sera-t-il pas emporté dans le renouvellement de tant de choses ? On attend beaucoup d’un machinisme puissant et la motoculture occupe les esprits. Des expériences furent faites, le printemps dernier, solennellement annoncées, auxquelles j’assistais, curieux de surprendre sur le vif l’émoi des paysans. De dix lieues à la ronde, ils étaient accourus, femmes, enfans, vieillards. Devant la machine, qui, sans les bras de l’homme et les jarrets de l’animal, traversait la route,