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française ne jouit pas de la réciprocité. Il fallait, à la saison des travaux, établir, au besoin imposer dans toutes les communes agricoles importantes un poste de prisonniers, qui chaque jour, selon les besoins, auraient été distribués. Nous savons les difficultés de la chose, sans compter que nos populations, au moins au début, montraient les plus vives répugnances : il valait la peine de résoudre les unes et de vaincre les autres. La battaison a été très lourde pour nos champs, et aurait pu ne pas l’être, si chaque machine à grand travail avait été munie d’une équipe de vingt Allemands, au lieu que par l’ancien système des journées prêtées et rendues, le personnel étant déjà très réduit, les charrues ont chômé pendant plusieurs semaines. Or les labours de juillet et d’août sont les meilleurs, d’où sort l’abondance du grain. Nos anciens le disaient et les faisaient avec soin, sans savoir comme nous que les microbes nitrificateurs ont besoin de ces labours pour accomplir leur merveilleux travail. Faute d’avoir pris ces mesures si nécessaires, le rendement de la récolte a été notablement diminué.

C’est que la terre a besoin de jouer serré pour traverser l’épreuve. Qu’il y ait eu des découragemens injustifiés, des paresses coupables, des lâchetés, des veuleries, il n’en faut pas douter. Les exigences injustes, abus, combinaisons louches, actes répréhensibles ne sont peut-être pas non plus très rares, sur quoi avocats et magistrats, qui d’ailleurs ne plaident ni ne jugent, en savent plus long que nous par les doléances qu’on leur porte ; et plus d’un ne se plaint pas qui pourrait justement le faire. Tout le monde a pu voir des attitudes mauvaises et entendre des paroles fâcheuses. De celles-ci l’abondance est grande. Mais, comme les poilus au front rouspètent en gagnant la bataille, ici l’on fait de même en travaillant. La protestation verbale est un peu partout, soupape par où se relâchent les tensions intérieures, trop fortes.

La protestation varie de force, de forme, de ton selon les milieux, la région, la race et, si l’on veut, l’accent. On devine bien que, dans les pays où il est échauffé par le soleil, nous ne sommes pas en retard. Parler facilement conduit à parler beaucoup. Le trop arrive vite. De là quelques malheurs, d’abord celui d’inspirer des doutes à l’auditeur, qui se méfie de l’abondance. Et puis — chose plus grave — vous êtes jugé sur des paroles qui généralement vous amplifient dans le mal