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« chemin aux soldats, afin que, s’ils voulaient reculer à ce grand « travail, nous puissions leur reprocher que les princes et seigneurs y ont mis la main plutôt qu’eux. » Et Monluc leur assigne comme tâche d’amener avec leurs gentilshommes les pièces au pied des pentes, d’où elles seront tirées par pionniers et soldats et hissées à l’emplacement de la batterie. Les princes et seigneurs qui étaient à l’armée pour leur plaisir, sans y avoir de charge, acceptent avec enthousiasme, et « ils ne se reposèrent de toute la nuit jusqu’à ce qu’à la clarté des torches ils eussent posé l’artillerie au pied de la montagne. » A trois heures du matin, les pièces entraient en action et le fort capitulait quelques heures après.

Cette solidarité du chef et de la troupe est une chose éminemment française. On voit que, même à cette époque lointaine, la distance entre l’officier et le soldat s’effaçait parfois et que les dangers et la misère supportés en commun créaient entre eux une sorte de fraternité. « Le maréchal de Brissac aimait et honorait jusqu’aux simples soldats ; les bons hommes, il les connaissait par leur nom. » Il arrive parfois que le soldat regimbe at grogne, mais on en a raison avec quelques paroles, car en ces gens-là, comme le dit Monluc, il n’y a point « d’arrière-boutique. » Rappelons-nous que l’armée qui a accompli à travers l’Europe la plus grande marche victorieuse était composée de soldats qu’on appelait des grognards.

Dans nos armées qui remuent de la terre nuit et jour depuis trois ans et plus, les conseils de Monluc ont été largement mis en pratique. Le commandement, dans des instructions réitérées, a rappelé que les unités pendant le travail devaient toujours être encadrées par leurs chefs comme pendant le combat. La guerre de tranchées a ennobli le travail de pionnier. « Tout soldat, dit l’Instruction sur les travaux de campagne, doit manier l’outil aussi bien que le fusil ; il se sert du premier quelquefois, du second tous les jours. Tout combattant doit travailler. L’exécution rapide et soignée des travaux engage l’honneur militaire des troupes qui en sont chargées. » Cette conception nouvelle aura sans doute pour effet de faire tomber en désuétude le vilain mot de corvée employé dans le langage militaire pour désigner soit tout travail qui n’est pas exercice ou manœuvre, soit la troupe chargée de l’exécuter.

La guerre de tranchées, toujours longue, toujours monotone,