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au Canada. Le plus grand nombre, confians dans la « Justice immanente, >>demeurèrent dans l’attente de jours meilleurs, espérant que l’iniquité dont ils étaient victimes ne serait que passagère. Quelques vieux soldats, hypnotisés par leurs souvenirs de gloire, comptaient follement sur un second retour de Napoléon ; il y en eut qui, longtemps après 1821, refusèrent de croire à la mort de l’Empereur. En général, on fut persuadé que le nouvel état de choses créé dans le pays rhénan n’était que transitoire, tant était grande l’aversion non dissimulée de toute la population pour les Prussiens. Chaque année, désormais, des groupes de jeunes gens de Sarrelouis et des environs, se refusant à faire leur service en Prusse, vinrent s’engager dans notre Légion étrangère dont ils formèrent avec les Alsaciens, après 1871, le plus solide noyau. Des groupes de soldats sarrelouisiens prirent part, avec nos bataillons, aux campagnes de Crimée, d’Italie, du Mexique, de 1870. D’autres enfin, plus fortement impressionnés encore par les événemens, jugeant superflu et chimérique d’attendre l’heure de la délivrance et des réparations, se laissèrent aller à de véritables actes de désespoir.

On a rappelé récemment dans la presse française la déplorable fin d’un Sarrelouisien, Pierre Gouvy, le second fils de ce Pierre Gouvy qui fut maire sous Louis XV et importa dans la région l’industrie sidérurgique. Le fils était maître de forges, comme son père. Il fournit aux armées de la République et de l’Empire, des sabres, des baïonnettes, des balles et des boulets de canon. A la première Exposition française organisée à Paris, en 1801, sur l’ordre du Premier Consul, la qualité des aciers Gouvy fut consacrée par une médaille d’or, suivie d’une seconde en 1806.

Berryer raconte, dans ses Souvenirs, qu’en 1814, il eut à plaider pour son ami de collège, Pierre Gouvy, qui avait intenté une action contre l’Etat pour obtenir le paiement d’armes et de munitions qu’il avait fournies au ministère de la Guerre, pendant le dernier siège de Mayence. Gouvy vint à Paris au mois de mars 1814, « un peu, dit Berryer, pour causer de son procès, beaucoup dans l’espoir de récolter des « tuyaux » sur la nouvelle frontière, car l’angoisse patriotique dominait en lui la préoccupation industrielle ou commerciale. » Paris venait d’être livré aux Alliés et les représentans des diverses