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écroulées. Il n’y a pas jusqu’aux nids de cigognes posés sur un pan de muraille, un cactus ou un figuier, comme de larges plateaux d’immondices, qui ne se montrent eux aussi à nu dans leur pauvreté orientale, ajoutant leur misère d’oiseaux à celle qui s’agite déjà parmi ces murs embrasés.

Mais qu’on s’éloigne ou que vienne le soir, et le magique Orient refait aussitôt ses prestiges sur la Kasbah des Oudayas. Quand le soleil s’incline à l’horizon et qu’une lumière voilée de brume enveloppe ce rocher plein d’histoire, tout se recrée, tout s’anime. Les murs retrouvent leur jeunesse et leur ancienne perfection, la verdure son éclat, les nids leur poésie aérienne. Le mât du sémaphore, avec ses agrès compliqués, paraît quelque bateau fantôme jeté là-haut sur ces pierres, par un coup de mer monstrueux. Les pauvres petites maisons blanches et le minaret qui les couronne ne forment plus qu’une vaste féerie, d’une complication folle, où s’enchevêtrent et se confondent les terrasses et les jardins suspendus. Cette roche guerrière et ses remparts rougeâtres ne semblent plus servir qu’à soutenir la rêverie. La longue houle atlantique, qui se brise en bas sur les rochers, met une rumeur héroïque autour de ce palais de songe. Et de l’autre côté de l’estuaire, Salé la barbaresque n’est plus qu’un jeu de la lumière, une gracieuse fantaisie de la lune sur le sable, une dernière frange d’écume apportée là par le flot.

Au pied de ce haut promontoire, on a toujours fait de grands rêves. Dans quelle bibliothèque de Fez, de Marrakech ou d’Espagne, dans quelle poussière ou quel néant éternel reposent aujourd’hui les plans que dessina jadis un architecte maugrabin, pour faire de la charmante et modeste Rabat une nouvelle Alexandrie ? C’était, je crois, un sultan almohade, contemporain de saint Louis, qui en avait conçu l’idée. Aujourd’hui, le rêve est repris ; les racines du figuier vivace repoussent sur la vieille muraille. Dans un temps prodigieusement rapide, ce vieux mot de Rabat aura dépouillé pour toujours son voile de brume atlantique, et ces rauques syllabes, nous les prononcerons avec l’orgueil tranquille et cette familiarité, hélas ! un peu banale, que déjà nous mettons dans les noms jadis prestigieux d’Oran, de Constantine ou d’Alger. Au pied de la tour solitaire, une ville française se construit entre les murs de la ville indigène, qui continuera de mener (incha Allah ! s’il plait