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loin de moi, glisse une légère ombre rosée. Elle escalade un mur avec l’agilité d’un chat. Une autre ombre la rejoint, toute verte celle-là, et se met à sa poursuite. Et pendant quelques minutes, je ne vois que ces deux couleurs qui tournoient, s’emmêlent, paraissant et disparaissent derrière les petits murs, sans que je puisse arriver à reconnaître si elles sont laides ou jolies, — jeunes assurément toutes deux, les pieds nus, de longues tresses entrelacées de laine noire, sautant sur leurs robes passées, et des bras si bruns, si chauds, au milieu de ces blancheurs mortes ! Jeu gracieux d’ombres rapides, de mousseline, de soies fanées. Charmant intermède de clowns dans un cirque lunaire.

Peu à peu, au fond des patio, quelques bougies s’allument. Une autre et puis une autre. Chaque maison devient une grande lanterne, qui projette au-dessus d’elle le rayonnement de sa clarté. Sous la brume qui s’épaissit de minute en minute, toutes les terrasses prennent l’aspect d’on ne sait quel vague jardin blanc, illuminé par des parterres de lumière ; et du milieu de ces choses éteintes et de ces lueurs encore pâles dans ce qui reste de jour, montent maintenant des chants, des musiques, un vacarme où la flûte arabe entraine dans sa frénésie l’archet des aigres violens, le battement des mains en cadence, et le tam-tam des tambourins à cymbales. D’éclatans sons de trompette tombent du haut des minarets et déchirent le crépuscule d’une longue note cuivrée, prolongée jusqu’à bout de souffle. C’est le mois du Ramadan. La journée de jeune est finie ; et, avec la nuit, commence la musique et le plaisir.

En Algérie, en Tunisie, c’est la rageuse rhaïta, qui, par ces nuits de fête, invite les cœurs à la joie, avec sa ritournelle monotone et passionnée. Mais ici les Maures andalous ont apporté d’Espagne cette longue trompette, dont la sonorité guerrière éveille plutôt le souvenir de quelque triomphe romain que les troubles ardeurs de la musique orientale. À ces longs appels de cuivre, d’autres appels se mêlent, une grande plainte religieuse lancée à pleine voix au-dessus des mosquées et des petits parterres lumineux. Que disent-elles, ces phrases mystérieuses qui jettent sur la ville un immense filet de prières ?… De la tour d’une mosquée à l’autre tour d’une mosquée, elles se répondent, comme chez nous les cloches