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éveiller les dormeurs (comme si quelqu’un pouvait dormir par cette nuit forcenée ! ) et avertir les ménagères qu’il est temps de songer au repas de la nuit avant la reprise du jeûne.

Cependant, peu à peu, s’apaise cette belliqueuse rafale, tandis que du haut des mosquées, les plaintives litanies s’envolent et restent longtemps suspendues sur de grandes ailes sonores. Puis, de nouveau, les trompettes de cuivre lancent, toutes ensemble, une fanfare sauvage qui ne dure qu’un instant. Et de ces meuglemens barbares, tout à coup, sort quelque chose de surprenant, de magnifique, qui me dresse debout sur ma terrasse, l’oreille tendue et le cœur enivré. Une troupe hardie de voix fraîches, joyeuses, et qui semblait n’attendre que le signal assourdissant des cuivres, s’élance à deux cents pas de moi, du minaret de la grande mosquée. Quel élan, quelle allégresse ! Ce ne sont plus ces modulations lugubres pesamment jetées aux ténèbres, ni ces mille petits chants discords qui semblent, comme les cigognes, ne se tenir que sur un pied et chanceler à tout moment dans leur courte cadence. C’est un grand mouvement d’enthousiasme et de jeunesse, une de ces grandes musiques qui libèrent tout à coup l’esprit des mille vanités qui l’encombrent, pour soulever dans l’âme de celui qui écoute l’émotion la plus vague, la plus indéterminée, ou réveiller au contraire avec une force décuplée l’inquiétude la plus particulière à son cœur. Toutes ces voix avancent d’un beau train joyeux et grave. Parfois, l’une d’elles plus rapide, et saisie d’un délire sacré, bondit hors de la troupe, se cabre, la dépasse, dessine dans le ciel une arabesque sonore, puis rentre et disparaît dans le cœur des autres voix qui ont précipité leur allure. Et cela fait penser à quelque fantasia de chevaux invisibles, de beaux chevaux ailés qui galopent là-haut, dans la nuit.

Quelquefois une voix trébuche. Depuis trois semaines bientôt que dure le Ramadan et que, chaque nuit, ces chanteurs jettent ainsi dans les ténèbres ces strophes en l’honneur du Prophète, les gosiers se sont un peu fatigués. Mais que sont les faux pas, les hésitations, les chutes de ces cavaliers ailés ? Le grand mouvement de la fantasia nocturne emporte tout dans son élan héroïque.

On raconte que le poète qui composa ces strophes enflammées était un poète aveugle, et que Mahomet, en récompense,