Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petits sous l’entassement formidable des pierres et de la boue séchée, un petit groupe de personnages, les vizirs et les secrétaires, attendaient patiemment sur leurs mules bâtées de hautes selles amarantes, que Sa Majesté chérifienne, Moulay-Youssef, apparût. Leurs vêtemens d’une sobre élégance contrastaient délicieusement avec la sauvagerie de ce plateau stérile, de ces nègres aveuglans et de ces murs embrasés. Au premier regard, tous ils semblaient pareils sous leurs burnous d’une égale blancheur ; mais par l’ouverture du manteau apparaissaient des soies de couleurs variées, très tendres, et encore attendries par une chemise transparente qui en atténuait l’éclat jusqu’à le faire presque disparaître. Et ces harmonies savantes de teintes nuancées à l’infini avaient peut-être plus de charme encore que ces débauches de couleur des fantasias du Sud Algérien, qui ont ravi et ravissent toujours les peintres romantiques.

C’est, je crois, dans le protocole que le Sultan du Maroc doit se faire longtemps attendre. On attendit longtemps. Enfin, arriva sous la porte le lieutenant du Maître du Palais, à cheval, au milieu de quelques cavaliers. Puis, le Maître du Palais lui-même, un métisse de sang noir, la carabine au poing, qui portait sur la tête un merveilleux turban de neige roulé autour de son bonnet pointu comme une énorme toupie. Venaient ensuite, au pas, tenus en main par des serviteurs à pied, six chevaux, noirs et blancs, dont les étriers et les selles, brodées d’argent et d’or, posées sur de nombreux tapis, se devinaient sous les housses. Suivaient deux autres cavaliers, porteurs de longues lances à la pointe d’argent doré. Puis, le Maître des Ecuries, un énorme nègre vêtu, d’un caftan vert émeraude, dont aucune mousseline n’atténuait la chaude couleur, et que serrait sur son ventre une large ceinture de cuir couverte de broderies blanches, — une sorte de Falstaff noir, avec une barbe de neige frisottant sur sa peau d’ébène, et qui adressa au passage, d’une voix retentissante, aux vizirs et aux secrétaires toujours massés sous la muraille, le salut de Sa Majesté : « Salut à vous, vous dit mon Maître ! » Enfin, dans l’ombre de la porte, sur un cheval tout blanc harnaché de cuir orange, apparut le Sultan lui-même, dont on ne voyait que le visage et les mains presque noires dans la blancheur des lainages.

A sa droite et à sa gauche, quatre serviteurs à pied portaient, pour l’éventer, des serviettes sur leurs épaules, et les deux qui