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lui un trop solide fond de bon sens, pour qu’il ne revînt pas promptement de ces exagérations. Il a plus tard rappelé avec ironie les partis pris de ses années révolutionnaires. « Pour aimer une œuvre d’art, il me fallait qu’elle fût vraiment nouvelle, c’est-à-dire au courant des dernières inventions, un peu maladive : j’étais alors en pleine santé, et rien n’est tel que de se porter à merveille pour avoir le goût des œuvres maladives. Il me fallait encore qu’elle fût hardie, dédaigneuse des conventions ; et même je l’estimais en raison du nombre des règles qu’elle avait bravées. » Toutefois, s’il a raillé l’outrance et l’exclusivisme de ses admirations d’alors, il n’a pas renié ces admirations elles-mêmes. S’il a cessé d’admirer Wagner « comme une bête, » il a continué de le tenir pour un des plus incontestables génies qui aient surgi dans l’histoire de la musique. S’il ne se pique plus de tout comprendre dans les poèmes de Mallarmé et de les lire à livre ouvert, il a persisté à croire qu’il y avait en eux un je ne sais quoi d’essentiellement poétique et qui même est l’essence de la poésie. Et il a toujours célébré Villiers de l’Isle-Adam comme un magnifique anachronisme. Mais il a fait mieux que de ramener à la juste mesure ses enthousiasmes de la première heure : il en a pénétré le sens profond, il a nettement aperçu et expliqué la direction du mouvement qui se faisait alors en littérature sous la poussée de la plus impérieuse des nécessités.

C’est qu’on venait de traverser les pires années qu’ait connues la littérature contemporaine, la morne période du naturalisme. On se traînait sous un joug pesant, dans une lourde atmosphère de pauvreté intellectuelle et de bassesse morale. Le genre qui pour lors absorbait tous les autres, le roman, devenu le roman naturaliste, devait à sa grossièreté même l’insolence de son succès. Ni observation, ni psychologie, mais le cynique étalage d’une humanité réduite à l’instinct, écrasée sous le fatalisme de la matière. Le théâtre gagné par la contagion, la poésie en déroute, l’esprit décrié, la sottise triomphante : on étouffait ! Le besoin d’une libération se faisait sentir. On attendait un sauveur. On crut l’avoir trouvé en Wagner, ce Messie. Cela explique l’espèce de mysticisme où communièrent ses premiers dévots. « Les jeunes gens d’aujourd’hui, écrivait par la suite Wyzewa, ne peuvent imaginer de quelle importance a été pour notre jeunesse d’il y a un quart de siècle la révé-