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Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/375

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le tunnel eût procurée aux flottes marchandes alliées et neutres ! C’est par centaines de millions d’unités qu’il faut compter, et c’est encore M. Lloyd George qui disait récemment qu’une économie de dix millions de tonneaux de jauge représente pour l’Angleterre douze mois d’approvisionnement. Or le tunnel eût libéré un nombre de tonneaux de jauge trois, quatre, cinq fois supérieur au tonnage qu’il eût attiré à lui. En effet, le soulagement qu’il eût apporté à la marine marchande pour les transports par Gibraltar se fût appliqué à des parcours trois, quatre et cinq fois plus longs que celui de la voie ferrée.

Que dire de l’économie d’argent qui se fût chiffrée par des milliards, alors que le tunnel n’eût coûté à construire que 400 à 500 millions avant la guerre[1], plus encore, de la sécurité donnée à d’innombrables transports ? La guerre sous-marine eût été déjouée dans tout le secteur qui s’étend des côtes anglaises jusqu’à Marseille et Brindisi, c’est-à-dire là où elle est le plus active.

Du même coup eussent été rendus aux formations de combat les légions de navires de guerre employés à convoyer les transports de tous genres.

Puis, il y a les blessés. Quelle famille anglaise ayant des combattans au front ne se fût réjouie de l’existence du tunnel ? J’étais à Calais au mois d’octobre 1914, tâchant de réorganiser au point de vue des chemins de fer la vie économique et dirigeant avec mes collaborateurs, de ce point non envahi du réseau du Nord, le transport improvisé de l’armée anglaise, qui remontait de la région de Soissons vers le Nord. J’ai assisté à toutes les opérations douloureuses du débarquement des blessés héroïques de l’Yser, amenés du front par la voie ferrée ; j’ai vu le tri opéré dans les ambulances d’évacuation entre les soldats qu’on dirigeait vers l’Angleterre et ceux que l’on était obligé de garder parce que la traversée maritime, avec tous ses transbordemens, rendait le voyage trop pénible, trop long, trop dangereux. J’ai constaté le temps énorme qu’il faut pour faire le plein d’un bateau de blessés ; j’ai vu des capitaines de navire préférer de la façon la plus louable ramener leur bateau aux trois quarts vide au port anglais plutôt que de laisser se prolonger le supplice des blessés dans l’attente. Le zèle, l’initiative, l’activité des

  1. Ce chiffre devra maintenant être majoré, — et c’est un regret de plus, — en raison du renchérissement formidable de toutes choses (main-d’œuvre, matériaux, etc.).