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récits de ses défenseurs, quels mobiles les y ont entraînés et quels avantages ils en ont déjà retirés, soit pour l’armée, soit pour la nation.


I

Lors de leur entrée en campagne, leur état d’esprit présente avec celui des autres grandes armées européennes un contraste qui ne peut manquer de frapper le lecteur, et qu’explique la situation particulière de leur pays. Leur psychologie apparaît comme plus complexe parce que leur attente a été plus longue et leur intervention plus réfléchie. Il ne faut jamais perdre de vue en effet que, si la guerre a été subie par la France, elle a été voulue par l’Italie. L’une s’y est précipitée en quelques jours, sans avoir le temps de se ressaisir, pour repousser une brutale agression et obéir à un irrésistible instinct de légitime défense ; l’autre s’y est décidée à la suite d’une crise de conscience qui a duré six mois et au cours de laquelle elle a eu à choisir librement entre les bénéfices d’une neutralité sans terme et les risques d’une guerre sans retour. A la faveur de ce long délai, tous les sentimens, égoïstes ou désintéressés, qui pouvaient inspirer sa résolution future, se sont développés simultanément dans son âme nationale, où ils ont eu le temps de se fixer en mobiles d’action précis.

Le principal et le plus répandu d’entre eux est aussi celui que l’exemple de l’Alsace-Lorraine rend le plus aisément compréhensible pour un Français : c’est le désir de libérer les populations italiennes encore soumises au joug de l’Autriche, de donner à la patrie ses frontières naturelles et de parachever ainsi la grande œuvre du Risorgimento : idéal accessible aux masses parce qu’il se présente à elles sous la forme d’un objectif géographique, qu’il se résume en deux mots, Trente et Trieste, et que le culte en a été entretenu par les traditions de l’irrédentisme. Au début de la campagne, la satisfaction de le réaliser éclate en expressions enthousiastes dans les lettres des combattans : « Cette terre que nous foulons est nôtre, s’écrie l’un d’eux en passant l’ancienne frontière. C’est au-delà que sont placés les confins véritables et sacrés de l’Italie. Je suis convaincu que si la guerre n’avait pas ou cette évidente justification, nous ne serions pas partis, et le peuple aurait crié à la désertion… Et