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hauteurs qui se maintiennent dans des secteurs entiers entre 2 000 et 3 000 mètres, sous des températures qui atteignent parfois 30 degrés de froid. Les troupes de garde y mènent en hiver une existence comparable sous bien des rapports à celle des explorateurs polaires. Il faut l’avoir vécue pour savoir à quel point l’hostilité du climat complique les actes les plus simples de la vie militaire : « Ce qui s’accomplit de grand sur ces hauteurs, rapporte un témoin, le pays ne saurait se l’imaginer, car jamais jusqu’ici les glaciers n’avaient été habités par une armée en campagne… Les yeux saignent, les pieds gonflent et gèlent, l’avalanche emporte, la crevasse cachée engloutit, la tourmente fouette et meurtrit le visage. L’eau manque et, si le soleil se montre, c’est pour brûler ; les vivres n’arrivent pas ou se réduisent à une boîte de conserves, une cuillerée de lait stérilisé, une tranche de lard ou de pain, les habits se déchirent ou se remplissent d’insectes au point que certains préfèrent les jeter et souffrir du froid. Ces jours derniers, les soldats enfonçaient dans la neige jusqu’à mi-corps, tandis que les mitrailleuses ennemies leur tiraient dessus, et pourtant ils avancèrent quand même[1]. »

D’autres témoignages d’Alpins nous attestent l’âpreté d’une lutte sans éclat, mais sans trêve, qui exige d’eux « un effort immense de volonté et de constance. » Lutte d’abord contre la distance : il doivent marcher des nuits entières, soit pour risquer une surprise, soit même pour opérer la relève quotidienne. Lutte contre les embûches du climat : dès le mois de septembre, la bise nocturne fait geler l’eau dans les bidons. Lutte contre les aspérités du terrain : il est certains postes d’observation où l’on n’accède que par une corde à nœuds, et certaines positions ennemies qui ont pu être défendues au moyen de quartiers de rocher roulant sur les assaillans ; il faut creuser des heures entières pour tracer le moindre sentier ou établir la plate-forme de la plus minuscule baraque. Lutte enfin contre le découragement : la contemplation continue des solitudes de neige, l’absence complète de distraction, le contact journalier avec la nature et la mort produisent sur les âmes les mieux trempées une poignante impression de mélancolie. L’armée a pourtant tenu tête à l’ennemi, aux élémens et à la

  1. Azione du 29 avril et du 25 juin 1916.