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pouvait leur apparaître comme une entreprise inutile d’agrandissement. Si cette pensée a effleuré leur esprit, elle s’est dissipée à l’aspect de l’ancienne frontière. Tous ceux qui l’ont franchie avec les troupes victorieuses ont rendu avec force l’impression de stupeur produite sur eux par cette ligne « irrationnelle, arbitraire, absurde, indéfendable, » tracée en 1866, de manière à laisser à l’Autriche la possession des hauteurs comme des points stratégiques et la domination complète de la plaine[1]. Ceux qui ont pénétré dans le Tyrol ont pu y voir de leurs yeux quel formidable réseau de routes militaires y. avait été préparé, bien avant la guerre, en vue d’une offensive rapide en Vénétie. Le spectacle en démontrait suffisamment que toute paix devait rester précaire et toute indépendance illusoire, tant que l’ennemi garderait ainsi entre ses mains les portes et les clefs de la maison. Les Méridionaux n’ont pas été les derniers à comprendre la signification de cette vivante leçon de choses. Bien qu’éloignés du théâtre de la lutte, ils s’y sont jetés avec un entrain qui a frappé tous les voyageurs étrangers[2]et dont leurs compatriotes du Nord peuvent se montrer jaloux : d’après une statistique récemment publiée, ils auraient fourni, relativement à leur nombre, une proportion d’officiers de réserve beaucoup plus élevée que dans les provinces septentrionales.

Si la guerre a, sur ce point encore, justifié sa légitimité par ses premiers résultats, est-il nécessaire en terminant de montrer comment elle a exercé son influence ordinaire sur la santé morale du pays ? S’il en fallait une preuve positive, on la trouverait dans un fait qui a été trop peu remarqué. A l’heure actuelle, l’Italie partage avec la seule Angleterre le précieux privilège d’avoir assuré par des supplémens de recettes le service de ses emprunts de guerre ; pour y parvenir, elle a dès maintenant accompli le même effort financier qu’autrefois la France pour remédier aux suites des désastres de 1870 : elle a ajouté 7 à 800 millions d’impôts nouveaux aux deux milliards et demi qui représentaient auparavant son budget ordinaire surcharge qui reste encore sans compensation, mais qui a été acceptée sans plainte. A l’arrière, toutes les énergies se sont employées, par une sorte de mobilisation civile spontanée, pour parer aux conséquences économiques de la mobilisation militaire ; dans

  1. Borsi, p. 18 ; — Pascazio, p. 86 ; — Azione du 27 juin 1915.
  2. Destrée, En Italie pendant la guerre, p. 140 et suivantes.