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parfois dévie, en un idéalisme abstrait, une logique rationaliste, des utopies de réformateur. Ses observations et ses réflexions sur la guerre actuelle et les changemens qu’elle prépare nous intéressent ainsi à un double titre : elles nous livrent les réalités qui ont, en quelque sorte, forcé la main de l’auteur et qu’il a saisies avec sa netteté de perception et sa vigueur imaginative ; elles nous laissent voir aussi la part du théoricien, cette idéologie qu’il superpose à la vérité de fait, et que des esprits plus simples se bornent à lui substituer.

Le romancier de La Guerre des mondes et de La Guerre dans les airs était mieux préparé que personne au spectacle de la lutte géante qui entre-choque non plus des armées, mais des peuples, et emploie à la destruction toutes les forces accumulées pour l’œuvre pacifique par le labeur des sciences et des industries, — première guerre vraiment moderne et « scientifique, » qui nous offre ce scandale de retourner soudain contre les hommes tous les progrès accomplis dont ils étaient si fiers. M. Wells a visité le front italien au mois d’août 1916, le front occidental en septembre. Il a été frappé du caractère industriel de cette guerre, où les conceptions des ingénieurs lui paraissent remplacer celles des généraux. « Le facteur décisif dans la sorte de guerre que nous nous faisons maintenant est la production et le bon usage du matériel mécanique ; la victoire dans cette guerre dépend maintenant de trois choses : l’aéroplane, le canon et le tank. Voilà ce qu’il nous faut avant tout, — et bien plutôt que des masses d’hommes, — pour le succès d’une offensive. » De ces trois instrumens, l’un, le canon, a été renouvelé par le développement de l’artillerie lourde ; les deux autres sont entièrement nouveaux. M. Wells y prend un intérêt particulier. Au sujet du tank, il se déclare même incapable de ne pas élever une petite revendication, car il l’a décrit en 1903 dans une histoire publiée par le Strand Magazine. Il s’empresse d’ajouter qu’il s’était d’ailleurs inspiré des inventions d’un certain M. Diplock, dont l’idée de « ped-rail, » c’est-à-dire d’une roue qui permettrait aux locomotives d’escalader les collines et de passer à travers les champs labourés, était dans le domaine public depuis près de vingt ans. Mais les tanks, tels qu’ils sortent des ateliers anglais pour aller opérer sur le front, sont bien autre chose.