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ni aucune institution religieuse. Si M. Wells entrevoit une grande vérité, la plus grande des vérités peut-être, et celle à laquelle en effet il faudra bien revenir, quand il affirme la nécessité de rétablir au-dessus de toutes nos pensées l’idée du Royaume de Dieu, — car c’est la seule qui permettrait d’assurer la paix du monde, — il méconnaît étrangement la nature de l’homme et les lois de la société quand il nie l’utilité pour cette idée d’organiser l’action de ses ministres et de ses interprètes.

L’humanité sans nations, la société sans classes, la religion sans églises, — ce sont bien là les trois termes de l’utopie rationaliste qui se mêle aux observations très précises et fortes de M. Wells, à ses réflexions pénétrantes, à ses vues très originales sur le caractère, les causes et les effets de la guerre présente. Qu’elle ne les ait pas faussées davantage, n’est-ce point la preuve que l’esprit de l’observateur est vigoureux et aussi que l’objet de son observation offre des caractères très nets, des évidences révélatrices ? Oui, cette guerre révèle en traits de feu, écrit en lettres de sang, que les nations ne sont pas des chimères, que la solidarité sociale n’est pas un vain mot et que les relations pacifiques entre les peuples, comme les relations fraternelles entre les hommes, impliquent une conception religieuse de la société humaine et l’idée de la royauté de Dieu. En constatant ces vérités et en les interprétant dans le sens de son idéologie, M. Wells nous parait curieusement partagé entre des tendances contraire et divisé contre lui-même. C’est un théoricien qui voit clair et un esprit d’une merveilleuse activité : il n’a pas dit encore son dernier mot.


FIRMIN ROZ.