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Seulement cela même, qui semble si aisé, réunir une assemblée de ce genre, encore qu’elle n’ait pas d’existence officielle, légale, qu’elle ne fasse que passer et se séparer, cela même n’était pas facile. Premièrement, il fallait prendre garde d’avoir l’air de substituer cette Assemblée sans mandat à la future Constituante, et veiller à ce qu’elle ne fût pas d’elle-même, sans qu’on l’y invitât, tentée de s’y substituer. Ensuite, il n’est pas de pouvoirs plus jaloux, plus susceptibles, plus ombrageux, que ceux qui n’ont aucune qualité ni aucun droit. Il fallait donc compter avec l’hostilité instinctive, avec les préventions et les défiances des Soviets. Et puis, de par sa nature, une telle assemblée, sa composition et sa compétence, sont livrées au pur arbitraire. Qui en serait; que serait-elle; que ferait-elle; qu’est-ce qu’on lui dirait, qu’on lui demanderait et qu’on lui permettrait ?

Après mûre réflexion, il fut entendu qu’elle serait consultative, et non délibérative, car on n’était pas sûr des décisions qu’elle aurait prises, ni, si elle en avait pris, de pouvoir les faire accepter. Sur le nombre des membres qui y seraient appelés, les organisations qui y participeraient, la proportion dans laquelle elles y délégueraient, on hésita longuement. A peine le projet fut-il connu que les réclamations affluèrent : tout le monde prétendait en être. Le gouvernement estimait que les Comités centraux des Soviets pourraient avoir cinq places chacun ; les Comités des soldats de chaque front, chacun cinq ; le Comité de chaque armée, deux; chaque nationalité, cinq; les troupes cosaques, dix; chaque organisation locale cosaque, trois; chaque zemstvo, trois; le Conseil municipal de Moscou, quinze. En outre, de nombreux sièges étaient accordés aux sociétés professionnelles, universités, académies, coopératives. A force d’ajouter et d’admettre, il se trouva, au bout du compte, 2 500 députés ou figurans tels, à savoir : 488 membres de la Douma, 100 représentans des paysans, 229 des Soviets de toute la Russie, 147 délégués des municipalités, 118 représentans de l’Union des zemstvos et des villes, 150 organisations industrielles et banques, 313 coopératives, 176 unions professionnelles. Notons qu’il n’y en avait pas plus que dans le seul Soviet de Pétrograd, mais que toute la Russie et toutes les classes, toutes les forces sociales de la Russie y étaient représentées. Si ce n’étaient pas les États-Généraux, c’était du moins l’Assemblée des notables. Notons aussi, pour les expériences de demain, que le régime parlementaire rencontrera en Russie un empêchement dans l’énormité même du territoire, et qu’un pays condamné à une Chambre de 2 500 membres fera bien d’y regarder à deux fois avant de l’instituer. Ce que nous en