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réaction ou la contre-révolution montrait l’oreille, elle serait réprimée impitoyablement. Gare à quiconque essayerait de démoraliser les troupes, à ceux qui épient le moment où ils pourraient lever la tête et fondre sur le peuple russe libéré ! Mais on ne doit et l’on ne veut rien cacher. L’État russe traverse une heure de périls mortels. Il a à lutter, pour sa vie, contre un ennemi, puissant, implacable, supérieurement organisé. Il faudrait de grands sacrifices, une pleine abnégation, l’amour ardent du bien public, l’oubli et le mépris des querelles intestines. Ce sacrifice, tous les partis et tous les hommes de parti qui le reconnaissent nécessaire, ne le font pourtant pas sur l’autel de la patrie. Par leur faute, la situation critique du pays devient de plus en plus aiguë. Certaines nationalités cherchent leur salut dans des inspirations séparatistes, au lieu de le placer dans une union étroite, dans une communion de. la nation liée, soudée et indivisible. Pour comble d’infortune, il y a eu « ce grand opprobre sur le front, où des troupes russes se sont abandonnées, forgeant ainsi pour leur peuple les chaînes toutes neuves d’un despotisme qui reviendrait altéré de vengeance. » L’opposition a reporté sur le nouveau pouvoir les sentimens qu’elle nourrissait à l’égard de l’ancien, avec cette différence que l’on craignait le premier et qu’on lui obéissait, mais qu’on n’obéit plus au second, car on ne le craint pas. « Ceux qui tremblaient auparavant devant l’autocrate se dressent maintenant hardiment, et presque en armes, devant le gouvernement; mais qu’ils sachent que notre patience a des limites, et que, si on les franchit, on se heurtera à une autorité qui saura rappeler le temps du tsarisme. » Voilà pour les partis. Quant aux nationalités, elles ont cru devoir prendre envers la Russie une attitude « pas trop amicale. » Néanmoins, la mère-patrie leur donnera tout ce qui leur a déjà été promis par le gouvernement provisoire et tout ce que l’Assemblée constituante voudra leur accorder encore. Mais au-delà, si elles osaient exploiter le malheur de la nation pour « violer la libre volonté, » le libre consentement du peuple russe, il n’y aurait à leur dire et on ne leur dirait que : « A bas les mains ! » — Approbation, applaudissemens; sympathie, mais peu d’enthousiasme.

Pourquoi ? Parce que, pour les uns, ce sont des paroles trop dures. et parce que, pour les autres, ce ne sont que des paroles, qui ne prendront de sens ou de vie que par les actes. Il ne s’agit plus de savoir comment Kérensky parle, mais comment il décide, ordonne, impose. L’homme qu’il faut à la Russie, dans l’effroyable épreuve où elle est plongée, ne doit pas être un sentimental, un nerveux, un émotif, un