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plaisir de s’y arrêter. On coucha à Fréjus ; pour franchir l’Estérel, on mit pied à terre aux côtes les plus pittoresques, et jusque-là tout fut à souhait.

A Antibes, où la voiture devait être démoulée et embarquée, il fallut perdre quatre jours, à cause du gros temps qui commença et qui empêchait d’atteindre les felouques. « La mer en fureur, » se brisant sur les rochers au pied des remparts, faisait « des effets superbes » et « une quantité de tableaux admirables. » Arrivés par les bourrasques à San Remo, nos voyageurs durent y séjourner longtemps, n’ayant rien à voir que le Palazzo et le marquis de Grimaldi, gouverneur, qui vint visiter Bergeret en sa très mauvaise auberge. L’art du cuisinier fut d’un grand secours, et aussi les portefeuilles et le crayon. Le « docteur » de la troupe (ainsi Bergeret appelait Fragonard) fit une sépia de l’intérieur de la cuisine. La mer restant fort dure, ils continuèrent le voyage à dos de mulet, et mirent cinq jours pour parvenir à Gênes, par une route d’ailleurs merveilleusement accidentée, coupée de villes escarpées, que Frago « regardait en peintre. » On a un dessin de lui représentant la caravane chevauchant au bord de la mer.

Gênes intéresse Bergeret par ses beaux morceaux d’architecture italienne ; mais les palais fameux lui semblent trop vantés, déserte, incommodes. Il tient à contrôler une magnificence qui ne peut éblouir que les gens du pays, et qui n’est magnifique qu’à moitié… On trouve au bas du palais, qui est comme une portion du Louvre, un savetier : voyez quelle contradiction de magnificence ! S’il fait nuit, il n’y a au travers d’un amas de colonnes qu’une triste lanterne ; il faut aller chercher le seigneur et sa suite à la valeur d’un troisième. » Voilà un exemple des observations que Bergeret va tirer de son propre fonds sur les choses d’Italie. Le peintre lui en suggérera d’autres ; mais le ton et la vulgarité de l’expression ne varieront guère. La compagnie s’arrêta particulièrement au Palais Balbi, où le marquis Spinola faisait construire un nouveau salon sur les plans d’un ami de Frago, l’architecte De Wailly, jadis son compagnon à Rome ; un autre pensionnaire du Roi, le jeune peintre Gallet, en peignait le plafond. Il y eut un dîner fort honnête chez M. de Boyer, envoyé de France ; on alla voir passer le Doge en grand cortège, on entendit un oratorio à la Madonna delle Vigne et l’opéra-buffa, la veille du départ. Les