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toute occasion, il préférait l’offensive qui fouette le soldat et le vivifie, à la défensive qui use sa patience et le déprime moralement. C’est ainsi qu’après quelques semaines de présence sur le front, il a réussi, par son exemple, au moins autant que Kérensky par sa propagande verbale, à déclencher avec Broussiloff l’offensive de juillet 1917, dans une armée dont presque tous les élémens étaient pourris jusqu’aux moelles par la pernicieuse propagande des Soviets.

Les détails ne nous sont pas encore parvenus sur l’attitude de Korniloff pendant cette glorieuse, puis désastreuse offensive de 1917, mais nous pouvons l’imaginer en nous reportant à celle qu’il eut en 1915 pendant la terrible retraite des Carpathes que son héroïsme et celui de la 48e division empêchèrent de se changer en déroute. Son rôle d’alors est trop peu connu. Il convient de le rappeler en ces heures tragiques. En voici un des plus émouvans épisodes, tel que l’a raconté le général Papovitch Lapovatz, qui en fut un des héros et des témoins :

« C’était à Ivla. Le général était sûr que notre manœuvre réussirait et que nous reculerions en bon ordre. Ayant invité tous ses officiers dans une petite chaumière, sur la chaussée qui mène à Doukla, il ouvrit sa carte et commença à prendre ses dispositions. Tout le monde se taisait. Tout à coup, le général se retourna et dit :

« — Oui, la situation est mauvaise… Mais qu’y faire ? Peut-être, avec beaucoup de sang-froid, en sortirons-nous…

« Nous étions pleins de courage et cependant le frisson de l’épouvante nous pénétrait jusqu’aux os. Quel soldat, même parmi les plus intrépides, n’a senti passer un jour sur lui ce vent du désastre ? Ce n’était pas la mort que nous redoutions, mais la déroute…

« Quand il ne resta plus d’espoir, le général Korniloff prit avec lui deux régimens et occupa Ivla, en face du front allemand. La bataille commença. Les obus pleuvaient comme grêle sur l’héroïque régiment sans réussir à le faire plier… Nous entendions au loin la canonnade à l’arrière. Nous étions cernés de tous côtés. Un courrier arriva, à cheval, me dire que le général me demandait. En route, j’appris que notre premier rang n’ayant pu supporter ce feu d’enfer commençait à reculer, que la moitié de nos chevaux étaient tués et que notre artillerie subissait de grandes pertes. Je trouvai le général Korniloff à