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faisant le salut militaire. A l’hôtel même, il venait à peine de prendre sa place que son colonel et tout l’état-major entraient s’installer à la table près de la sienne, et le fêtaient aussi de toutes les manières. Son repas terminé, il allait prendre le café dans un autre établissement, mais retombait, là encore, au milieu de jeunes officiers qui venaient tous défiler devant lui en touchant respectueusement leur képi et en demandant à lui serrer la main. Il écrivait alors à Mme de Pelleport qu’il était « honteux » mais heureux, car il sentait qu’il « faisait du bien, » et le sentait surtout à la caserne où il voyait de jeunes soldats le regarder furtivement « avec des larmes dans les yeux… » Enfin, il avait passé sa première nuit à la tannerie, couché sur la paille avec la troupe, et s’était levé à trois heures et demie du matin, pour assister à la messe à la cathédrale. Il y avait là plus de six cents soldats, tout le corps d’officiers, colonel en tête, et une communion générale couronnait la cérémonie. Puis, toute la matinée, partout où il se montrait, les manifestations recommençaient encore, et l’une d’elles, dans l’après-midi, les dépassait toutes. Sa compagnie avait été désignée pour aller chercher le drapeau chez le colonel, et il défilait au premier rang, sac au des et fusil sur l’épaule, quand un grand gaillard de civil s’était tout à coup élancé vers lui et l’avait embrassé à l’étouffer, en tâchant de le faire sortir du peloton, pour le présenter à la foule qui éclatait en acclamations.

Vingt-quatre heures plus tard, le 29e était en route pour le front, et M. de Pelleport, dès la première étape, télégraphiait à sa femme : « Santé excellente, moral général et particulier parfait. » Le lendemain, d’un autre village où il disposait d’un peu plus de temps et de papier, il lui écrivait que le cuisinier de la compagnie pouvait faire concurrence à leur cuisinière de Champlevrier, tant la nourriture était bonne ! On marchait cependant à marches forcées, par une température torride, et beaucoup d’hommes tombaient de chaleur ou d’épuisement, mais il résistait et supportait toutes les fatigues avec une endurance merveilleuse. A peine avait-on le temps, aux haltes, de faire et de boire le café, ou de se baigner et de nettoyer son linge quand on était près d’une rivière. Un coup de sifflet, brusquement, ordonnait le rassemblement, et il fallait repartir à la seconde, renverser les gamelles, ramasser sa chemise et son caleçon tout trempés. Mais M. de Pelleport ne s’en plaignait pas, sa bonne