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Le Prussien, à la vérité plus intimidé que vaincu, avait abandonné l’Argonne, abandonné Verdun, abandonné la Woëvre, abandonné Longwy, repassé la frontière. L’Autrichien, ayant levé le siège de Lille, maintenant se terrait en Belgique. Mais, dès octobre, le général Custine conquérait la rive gauche du Rhin et, appelé par les « patriotes rhénans » qui se sentaient descendans des Celto-Latins plus que des Germains, occupait presque sans coup férir Spire, Worms, Mayence et même Francfort. Cependant, Dmaouriez, le siège de Lille à peine levé par les habits blancs, se jetait sur la Belgique, battait les kaiserlicks dans la journée de Jemmapes, plus glorieuse encore, parce que plus victorieuse, que celle de Valmy, faisait capituler Liège et Anvers et, d’accord avec les patriotes belges, entrait à Bruxelles. Les troupes montraient, du Rhin à la Meuse, un prodigieux allant. Ecoutons le futur général Kléber parlant du bataillon de volontaires qu’il commande, le 15 novembre 1792 : « Leur joie, leur allégresse étaient inexprimables lorsqu’on a lu l’ordre du départ. Aucun d’eux ne pense plus à quitter son drapeau. Des malades, oui des malades, m’ont demandé en grâce de les laisser avec le bataillon, s’offrant à le suivre à pied si seulement je voulais me charger de leur sort ! O généraux français, si vous savez tirer parti de la valeur et du courage de tous ces braves soldats, quels sont les succès, quelle est la gloire auxquels la République ne puisse prétendre ?… » Toute l’armée était ainsi : une fièvre patriotique, une sorte de délire sacré l’agitaient ; il faut renvoyer aux lettres et aux journaux de marche publiés depuis vingt ans, de Bricard à Fricasse, de Joliclerc à François (nous en possédons plus de trente aujourd’hui). Jamais on n’avait vu un pareil mysticisme dans la foi en la Patrie : ils mettaient la Marseillaise en action : « O sublime élan de 1792, que ne puis-je te célébrer dignement ! » écrivait l’ex-tambour Victor, devenu maréchal. « On était, écrira, trente-cinq ans après, Marmont, dans une atmosphère lumineuse : j’en ressens encore la chaleur et la puissance à cinquante-cinq ans comme au premier jour. »

Un instant remis en main par Dumouriez et Kellermann, les hommes avaient, par la pratique d’une nouvelle discipline, fait donnera cette magnifique ardeur tous ses fruits. Mais, dès