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criant facilement à la trahison ainsi qu’on avait coutume de le faire depuis deux ans dans les faubourgs, dénonçant leurs grands chefs, ils excitaient ainsi à l’insubordination leurs voisins, les soldats de la vieille armée, eux-mêmes convalescens à peine guéris du même mal et prompts aux rechutes. Or, de mois en mois, — entre septembre et décembre, — les volontaires affluaient, chez Du mouriez comme chez Custine.

D’autre part, Dumouriez, comme Custine, était maintenant en territoire conquis. Sans songer à diminuer le mérite des généraux et des soldats de 1792, disons que la conquête avait été assez facile. Jemmapes seul marqua un bel effort. Belges et Rhénans, dégoûtés du joug allemand et gagnés à l’esprit de la liberté, avaient appelé nos troupes et favorisé l’invasion. On entourait, dans les premiers mois, de prévenances les soldats de la « grande nation » et plus d’un trouvait sa Capoue, qui à Bruxelles, qui à Mayence. Cette situation eût dû tout au moins les garer de tout excès. Mais les deux pays étaient riches ; certains soldats anciens ou nouveaux (car dans les deux équipes, il se trouvait des élémens troubles) se laissaient facilement aller, encore qu’on leur offrît beaucoup, à prendre plus qu’on ne leur offrait. La discipline en souffrit incontinent ; soldats sortant des cantonnemens sans permission, prolongeant cette absence, courant en bandes dans les villages et les fermes et s’y livrant aux plus divers excès, tel était le spectacle qui consternait les chefs, du plus petit au plus haut. Et puis, étant en territoire conquis, on ne sentait plus, — un avenir proche devait montrer combien on avait tort, — « la Patrie en danger. »

Ainsi la discipline, de nouveau, s’affaiblissait, et, par une suite logique et fatale, la valeur. On le vit bien, quand, dans l’hiver de 1793, les Autrichiens se jetant sur la Belgique, l’armée de Dumouriez fut en quelques jours balayée ; à Neervvinden, le 20 mars, les volontaires, fiers-à-bras pleins de jactance, mais dont, depuis six mois, se dénonçait l’indiscipline, lâchèrent pied à l’aile gauche et firent perdre la bataille. On dut évacuer la Belgique. Il était à craindre que, si les Prussiens essayaient de nous chasser de la rive gauche du Rhin, les soldats de Custine connussent la même aventure pour les mêmes raisons. Et, par surcroit, la coalition contre la France se grossissait de l’Angleterre, de l’Espagne, du Piémont, sans parler de l’Empire qui, maintenant, suivait Autriche et Prusse, la