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un vieux soldat qui en fut. C’était celle où le chasseur Audouin, de la 5e demi-brigade, à qui on offrait de porter à Paris le drapeau qu’il avait pris, déclarait « qu’il aimait mieux rester à son poste. » Mais Audouin n’étonne personne. On allait voir en Belgique, en Hollande, en Italie, en Allemagne, en Égypte, ces « fils de la Liberté, » devenus les « soldats de la nation, » stupéfier moins encore les populations par leur courage cependant insolite, que par leur discipline, leur obéissance aveugle à leurs chefs, — aveugle, non, car elle était faite tout à la fois d’un dévouement sans borne aux bons chefs et de la claire vue des nécessités militaires. « De blâmer ses chefs, on a toujours tort, » écrira le brave grenadier Coignet dans ses célèbres Cahiers. Il est dans la tradition récemment créée par ses anciens des armées de la République. Lorsqu’on lit les journaux de marche, lettres et mémoires des soldats de la Révolution (après 1794) et de l’Empire, ceux du fédéré Godard et ceux du fusilier Belot, ceux du canonnier Bricard et ceux du volontaire Joliclerc, ceux de François qui, ayant « reçu sa première balle à Valmy, » fut du carré de Waterloo et ceux du grenadier Coignet, ceux du cavalier Fricasse et ceux du cavalier Parquin, ceux du vélite Bourgogne, du vélite Barrès, du vélite Billon, ceux du trompette Chevillet et ceux du hussard Bangofsky, et ceux de Routier, et ceux de Rattier, et ceux de vingt autres, on reste frappé de la grandeur et de la persistance de cette vertu. Gamins parfois déchaînés, familiers avec leurs chefs, échangeant avec eux plaisanteries et parfois bourrades, soudain ils se retrouvaient soldats rigides et graves, et, dans la main des officiers, souples, mais comme un acier bien trempé. C’est que le clairon avait sonné, que les rangs se formaient, — que ce fût pour la manœuvre ou pour le combat. Aucune servilité ! De la doctrine de 1793, ils ont gardé l’orgueil d’être « des hommes libres et égaux. » Jamais de punitions corporelles : ils ne les eussent pas souffertes, car ils étaient des êtres fiers et forts ; mais une discipline voulue, bientôt aisée, que, suivant une expression juste, ils avaient fini par « avoir dans le sang. » Les chefs, — de leur capitaine au général en chef, — pouvaient impunément encourager chez eux la familiarité en la pratiquant eux-mêmes. Si le capitaine les plaisante, il sait bien qu’il ne compromet point son autorité, parce que leur capitaine, pour eux, est presque toujours