Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/864

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par l’éducation générale que fournissent notre esprit national, notre art, notre littérature, notre science. Les intellectuels norvégiens aspirent à cet enrichissement général pour leur pays, et le pays s’y prêtera volontiers : à condition toutefois que la France fasse le geste de l’offre qui répond à une discrète demande. En Hollande, des hommes considérables vous pressaient les mains, disant sur le ton de la prière : « Aidez-nous, venez à notre secours, pour nous désengluer de l’esprit allemand, de la mentalité allemande ! » En Norvège, on vous dit, avec amitié certes, mais avec tranquillité : « On ne voit jamais de Français chez nous, et c’est regrettable. On n’entend jamais parler français, parce que vous n’envoyez pas de voyageurs de commerce. On oublie en conséquence le peu de français qu’on apprend aux écoles. L’anglais, au contraire, on en a besoin. Cependant, vous voyez peu de livres anglais aux devantures, très peu. On préférerait des livres français ; mais il faut des lecteurs pour les lire, et, comme on ignore trop votre langue… Vous voyez que tout se lient. Puis, vos libraires sont d’une routine, d’une inertie décourageantes. Il faut leur réclamer vingt fois, pour obtenir, avec une réponse maussade, des conditions léonines, tandis que le commis allemand apporte tout, offre tout, prête, donne, reprend ou échange, et remercie encore et vous comble d’amabilités. Un exemple : beaucoup de nos savans, qui savent le français, voudraient se tenir au courant de la science française, car vos livres sont toujours jugés plus clairs, et vos méthodes scientifiques plus sûres, plus élégantes que celles des Allemands. Mais, impossible d’obtenir les annonces de vos livres scientifiques nouveaux, d’en avoir spécimen, ou de les recevoir pour les examiner. Avec vous, il faut toujours acheter sans savoir ce qu’on prend. On ne peut cependant acheter, même de la science, que sur échantillon. Et, s’il s’agit d’un nom nouveau, l’examen s’impose. Comment une nation si intelligente a-t-elle si peu de sens pratique ? De même pour la diffusion de votre langue. Vous avez des Alliances françaises, et il se passe parfois des années sans qu’elles aient des conférenciers vraiment dignes d’intérêt à nous faire entendre[1], alors que vous regorgez d’orateurs, de causeurs, de poètes, de professeurs rompus à la

  1. Par exemple, à Drammen, où j’ai trouvé un petit auditoire très fervent, il y avait quatre ans qu’on n’avait entendu un conférencier français !