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et l’on dirait que ses ailes cherchent le vent. Après la Marne, elle a été surprise ; après l’Yser, la Somme, Verdun, décontenancée ; la démonstration de la puissance anglaise la trouble, l’entrée en scène des États-Unis l’inquiète et va peut-être bientôt l’affoler. Sur ces entrefaites, il y eut les premières palabres de Stockholm, avec, par-dessous, le malaise populaire croissant, et les revendications légitimes d’un peuple qui jusqu’ici n’a compté pour rien dans l’État, et qui aspire à compter pour quelque chose. Nous étions là, lorsque ce malaise commença à s’accentuer, et nous en vîmes des marques bien singulières dans certaines questions naïves, dans certains effaremens. Tout au plus croyait-on à la victoire moindre, chez l’Allemagne. Mais la possibilité d’une défaite n’effleurait pas encore l’esprit de la Suède. Peut-être n’en est-il plus ainsi à cette heure. De même, dans la résistance française, voyait-on plutôt un honorable effort, naturel chez une nation jadis guerrière, ou encore un sursaut crispé de son agonie, plutôt que le risorgimento victorieux de la France de demain. Jour à jour, cependant, nous avons vu poindre l’annonce de ce qu’on appelle honnêtement une « évolution » dans son attitude, sinon encore tout à fait dans son sentiment le plus profond. Mais a-t-elle un sentiment profond, la Suède de 1917, autre que le culte de la force et des intérêts matériels ? N’a-t-elle pas été atteinte dans ses moelles et altérée dans son âme, cette nation fine, cultivée, aux traditions si anciennes et plongeant dans un noble passé, par la contagion de l’esprit matériel allemand, par son besoin de jouissance grossière, par ses goûts dominateurs de parvenu, par cette totale indigence d’idéal qui fait de « l’organisation » mécanique du monde le but du monde, et surtout la satisfaction de l’appétit allemand ? Il y a bien quelque chose de cela, et beaucoup, dans le changement de la Suède à l’égard de la France, et à son propre égard, entre 1870 et 1914. Sans parler de son enrichissement soudain depuis la guerre, et qui offre à certains égards quelque chose de monstrueux. Aussi le danger qu’elle court à cette heure est-il parmi les pires. Car il est d’ordre moral non moins que d’ordre politique et social. L’esprit féodal règne en Suède comme en Allemagne : mais tout annonce qu’il n’y régnera plus longtemps. Caste militaire, hiérarchie nobiliaire, autant d’institutions qui chancellent aujourd’hui sous les coups de bélier de la vague socialiste. Les