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queue, plus effarantes encore : l’oiseau cabré s’écrase en arrière sur son pilote ; descentes planées, moteur arrêté, lentes et silencieuses, seul le vent siffle au travers des haubans…

Tout ce qui peut accroître l’illusion des ailes, la sensation de se vautrer dans l’air, fluide élastique, mais impalpable, plus moelleux que le plus voluptueux divan, mon oiseau me l’a fait éprouver ! Toutes les ondulations de la bayadère, emportée par sa danse tourbillonnante, de la fleur balancée sur sa tige, de l’hirondelle luttant avec le moucheron, du poisson au sein des ondes, en un mot toutes les jouissances et toutes les perfections du vol, de la vie épanouie dans le vide, semble-t-il, et dégagée de la pesanteur terrestre, m’ont grisé d’une ivresse qui manque de mots pour s’exprimer !

Si vous saviez combien elle est entraînante, la chanson de geste que nos oiseaux murmurent à travers les cieux à la gloire de la France immortelle ! Vous dont l’enfance, nourrie de Jules Verne, s’endormait chaque soir dans l’attente de matins sublimes ! Vous les amoureux du danger, pour lesquels la vie n’offre d’intérêt que si vous la disputez sans cesse à la mort ; vous surtout, les amans de la gloire, vos plus beaux rêves sont réalisables aujourd’hui : venez ajouter votre strophe au cantique de l’aile triomphante.

R. De la Frégeolière.


Front de Flandres, 11 septembre 1917.

P.-S. Depuis que ces pages ont été écrites, nous avons eu l’immense douleur de perdre notre cher et grand Guynemer. À vingt-trois ans, en vingt-cinq mois de campagne, il avait été vingt-sept fois cité à l’ordre de l’armée ! Il comptait sa cinquante-quatrième victoire officielle, une centaine en tout, assurait-il, plus de 500 combats aériens !

En vain, tout le long de ce jour maudit où nous arriva la fatale nouvelle, avons-nous scruté l’immensité des cieux, guettant le vol familier de « la Cigogne no 2 » attardée vers son nid. En vain, jusqu’au soir, avons-nous espéré le coup de téléphone libérateur. Ce furent d’inoubliables heures d’attente où l’angoisse émaciait les visages. Personne ne voulait croire ! Jusqu’au lendemain, on espéra : un appareil était tombé entre les lignes anglaises et allemandes, le pilote indemne s’était caché