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Hélène, avouaient que ce n’était pas trop payer de tant de sang la beauté d’une telle femme !

Peut-être voulez-vous savoir quels défauts Euripide reproche aux femmes ? Elles les ont tous. Elles sont lubriques et jalouses : « La jalousie est la passion des femmes. » Fourbes et menteuses : « Pour sortir de la maison, dit Andromaque à une servante, tu trouveras plus d’un prétexte, car tu es femme. » Bavardes et mauvaises conseillères : « Comment ai-je commis une pareille faute ? se demande Hermione. De méchantes femmes m’ont perdue par leurs insinuations : elles m’ont excitée en me disant : « Souffriras-tu qu’une vile « captive partage dans ce palais le lit de ton époux ? J’en jure par notre « souveraine, chez moi du moins elle ne jouirait pas vivante de mes « droits. » Et moi, prêtant l’oreille aux discours de ces sirènes, de ces êtres bavards, fourbes et perfides, je m’exaltai jusqu’à la folie. » Au contraire d’Hermione, Andromaque est le type de l’épouse accommodante, qui ne fait pas d’histoires et donne le sein aux bâtards de son mari : on ne trouvera pas mieux.

Mais pourquoi cette guerre déclarée aux femmes ? Est-ce que, marié deux fois et deux fois mal marié, Euripide met dans la bouche de ses personnages ses propres rancunes, comme on veut que Molière se soit peint dans Alceste ? Dans leur belle Histoire de la littérature grecque, MM. Alfred et Maurice Croiset nous expliquent que tous ces reproches portent contre l’Athénienne du Ve siècle, qui les méritait, vivant comme une recluse à la façon des femmes d’Orient, et parée de tous les défauts qui sont la flore naturelle des harems. Mais je remarque que le même Euripide, s’il a mis dans son théâtre des Phèdre et des Hermione, a créé aussi les plus pures figures de femmes, une Alceste, une Iphigénie. Je songe au théâtre de notre Dumas fils, où la femme est traitée d’être inférieur, incomplet, subalterne, quoi encore ? et qui est tout plein de la Femme. Je songe à Musset qui dénonçait l’amour, fléau du monde, comme une exécrable folie, et qui n’a chanté que l’Amour. Quand on parle tant des femmes et qu’on met à les accuser tant de passion, c’est qu’on les aime comme on les déteste : passionnément. Ce n’est pas autrement qu’Euripide a maudit et célébré la Femme, celle du Ve siècle et celle de tous les siècles, celle d’Athènes et celle de tous les pays, la femme de toujours, joie unique et unique tourment de l’homme…


RENE DOUMIC.