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les troupes du Pacifique aux portes de Constantinople, leur résistance indomptable contre de furieuses contre-attaques, leur ardeur offensive ont créé dans ces troupes d’élite un esprit de corps désormais célèbre dans l’Empire britannique tout entier ; on dit couramment : « The spirit of Anzac. »

Aux premiers jours d’avril 1915, les Néo-Zélandais quittaient le sol des Pharaons par le port d’Alexandrie, à bord de vapeurs allemands capturés, comme le Lützow et le Derfflinger, qui apparurent, bientôt, devant la rocheuse île de Lemnos. Et voici que dans la rade de Moudros, voisinent tous les pavillons alliés. A côté des quatre cheminées si caractéristiques du croiseur russe Askold, se profilant sur le ciel, les tourelles du Gaulois et du Bouvet, aujourd’hui glorieux disparus, dominent les monstrueux canons de la Queen Elisabethv Autour, c’est l’incessante allée et venue de petits navires : une vedette automobile coupe le sillage d’un sous-marin anglais qui revient de la Marmara, un destroyer appareille pour une exploration des côtes turques. Un navire-hôpital oscille lentement sous l’effet du roulis, tandis qu’au mât du sémaphore montent et descendent dans leur langage figuré des drapelets multicolores. L’ile elle-même n’est qu’un vaste camp où les Néo-Zélandais, venus des antipodes, voient, comme dans un kaléidoscope, défiler tous les types de l’humanité. Ces hommes agiles et vigoureux en kaki, là-bas, sur la route, ce sont les Anglais du Lancashire : ils croisent, en échangeant de joyeux bonjours, une colonne de Sénégalais au sourire d’une blancheur éclatante. Ces courtes tentes qui s’étagent au flanc de la colline abritent des coloniaux français, ces marsouins, la vieille garde de la troisième République. Ceux-là, ils sont allés partout : en Indo-Chine, au Sahara, à Madagascar, au Congo, avant que l’année 1914 les rappelât en Europe pour de nouveaux combats. Plus loin, de grands cols bleus et des bérets étroits : ce sont les marins de la division navale anglaise. Ici, des artilleurs caressent la gueule grise des légers 15, tandis que passent des Martiniquais portant la soupe à l’escouade. Ailleurs, c’est la Légion étrangère, qui va, bientôt, mériter une des premières parmi ces citations qui lui ont valu, depuis, la fourragère jaune et verte.

Vint le jour où ces multitudes bariolées s’engouffrèrent dans les flancs profonds des navires : le 24 avril, tous ces vapeurs appareillaient, tandis qu’à bord des cuirassés les musiques