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l’indispensable circulation du sang dans notre organisme. Plus de pays aujourd’hui, même la Suisse au milieu de ses montagnes, qui puisse se passer de ce que l’on va chercher, par-delà les océans, partout où il, y a quelque chose d’utile, de bon ou de simplement agréable à prendre. Or « quiconque commande la mer commande le commerce ; quiconque commande le commerce commande la richesse du monde, et par suite le monde lui-même[1] » — comme le proclamait sir Walter Raleigh, quand il exhortait ses compatriotes à se lancer dans la voie où ils ne devaient pas tarder à dépasser tous leurs concurrens. Et si des millions d’hommes s’entr’égorgent depuis trois ans passés, la principale raison en est que cette mer, ce commerce et cette richesse, dont les Anglais sont devenus les courtiers les plus actifs, l’Allemagne voudrait se les approprier de vive force.

Ce fut dans un conseil extraordinaire, tenu à Potsdam le 29 juillet 1914, on le sait maintenant, que Guillaume II et ses complices se décidèrent à tenter le grand coup dont ils n’attendaient rien de moins que l’asservissement du monde. Le différend austro-serbe leur semblait une occasion de déchaîner la guerre, telle qu’ils n’en retrouveraient jamais, le seul aléa restant l’attitude que prendrait l’Angleterre. Ils avaient en effet partie gagnée d’avance, si cette dernière gardait la neutralité, ainsi qu’ils se croyaient autorisés à l’espérer par son désintéressement des questions balkaniques et ses graves difficultés en Irlande. Peut-être comptaient-ils également sur le prestige que le Kaiser s’imaginait avoir acquis vis-à-vis des Anglais, par le genre bon garçon et le zèle pour le yachting qu’il affectait afin de mieux les duper. Quoi qu’il en soit des illusions qu’ils se faisaient, leur plan consistait à s’emparer des meilleurs ports de la mer du Nord et de la Manche, — sans laisser à la Grande-Bretagne le temps de se ressaisir, — en lançant deux millions d’hommes à travers la Belgique et le Nord de la France. Manœuvre dès longtemps préparée dans ses moindres détails, et qui présentait le double avantage de comporter des réalisations immédiates

  1. Whosoever commands the sea, commands the trade ; whosoever commands the trade of the worlds, commands the riches of the worlds, and consequently the world himself. Cité par M. J. Tramond, dans son récent Manuel d’histoire maritime de la France, ouvrage dont je ne saurais assez recommander la lecture à qui désire juger de la place que nous avons tenue et devrions nous efforcer de reconquérir sur mer.