Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entièrement le décor et l’aménagement du chœur, y multipliait les revêtemens de marbres polychromes, pour dissimuler autant que possible « la mauvaise architecture gothique, » et ces marbres, extraits des belles carrières pyrénéennes, s’accordaient avec les tons vifs des étendards pris à l’ennemi, qu’un « tapissier » victorieux y venait accrocher. Au XVIIIe siècle, pour faire place au dais des processions royales, Soufflot ne se faisait aucun scrupule de supprimer le tympan et le trumeau de la porte centrale où se dressait la statue du Christ enseignant, frère sans doute du « beau Dieu » d’Amiens ; à Reims, Louis XV faisait ajouter sans façon, aux portes de la façade occidentale, les charmans tambours « rococo » qui ne sont plus qu’un tas de cendres ; à Bourges comme à Paris et à Chartres, les chanoines détruisaient d’admirables jubés…

Ces pratiques consacrées par un long usage, la Révolution les exaspéra jusqu’à la frénésie dans sa folie furieuse de supprimer tous les « vestiges de la tyrannie, de la superstition et de la féodalité. » Mais elle n’avait rien à mettre à la place de ce qu’elle brisait, et la déesse Raison, installée en souveraine dans les sanctuaires devenus ses temples, n’a laissé de son culte éphémère et stérile aucun témoin digne de prendre place dans l’histoire de l’art français.

Aussi, quand ses ravages eurent pris fin, par lassitude de détruire plus encore que par un retour d’autorité réparatrice, quand on se mit à constituer des « Commissions des monumens et des arts, » à dresser des inventaires, on ne put que recueillir les épaves du cyclone, de façon bien incomplète et sans un discernement suffisant. Peu à peu, l’opinion émue par les élégies des précurseurs du romantisme, enthousiasmée par les commentaires magnifiques autant qu’erronés d’un Chateaubriand, s’alarmait des effets d’un vandalisme trop funeste, visitait pieusement le musée de Lenoir, faisait aux pouvoirs publics un devoir de relever et « restaurer » tant de témoins vénérables d’un passé que les historiens et les archéologues allaient jour à jour déchiffrer.

C’est sous la monarchie de Juillet, où les historiens eurent une si grande place dans le gouvernement, que s’organisa vraiment le service des « monumens historiques. » C’est elle qui inventa le mot, créa, si l’on peut dire, le « genre ; » et les noms de Victor Hugo, de Montalembert, de Guizot, de Thiers, de