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s’abattit sur nous. Nous ne connaissons pas encore toute l’étendue du mal ; nous ignorons surtout où s’arrêtera l’œuvre de destruction et de mort. Tant que nous n’aurons pas pu, après la guerre, visiter, ausculter les glorieux blessés qu’elle aura faits parmi nos monumens, il sera impossible de définir avec précision notre devoir et ce que nous pourrons entreprendre pour maintenir debout et vivans ceux qui tiendront encore. Et c’est pourquoi nous nous sommes permis de trouver prématurées et trop absolues beaucoup de déclarations publiées par la presse et dangereux les mouvemens d’opinion provoqués par des artistes et des littérateurs illustres, inspirés, — est-il besoin de le dire ? — des plus patriotiques sentimens, mais que je voudrais rendre attentifs aux conséquences des décisions qu’ils voudraient dès à présent nous faire prendre. Si j’assume le rôle ingrat de résister à des voix si éloquentes, c’est que je suis convaincu qu’à les suivre, nous assumerions vis-à-vis de la France de l’avenir les plus lourdes responsabilités.

Constatons d’abord, avouons, — et que ce soit la juste, mais bien dure expiation des fautes anciennes, — que, dès les premières nouvelles de l’incendie et du bombardement de la cathédrale de Reims, au concert unanime d’imprécations et de malédictions qui s’éleva contre les incendiaires, se mêlèrent déjà nombreuses les protestations anticipées contre les « restaurateurs » éventuels et futurs ! « Elle est si belle avec ses pierres calcinées et comme saignantes ! N’y touchez pas, sous peine d’être à votre tour aussi malfaisans que les Boches, » disait-on à peu près ; je suis même sûr d’avoir lu « plus Boches que les Boches, » ce qui était tout de même excessif. On ajoutait : « Vous n’avez qu’un droit, qu’un devoir, c’est de conserver ces ruines à notre admiration, à notre douleur, à notre haine qui viendra s’y alimenter, s’y renouveler de génération en génération… » Les uns admettaient, il est vrai, comme s’exprimait l’auteur d’une lettre qui a ému profondément l’opinion, que, pour les conserver, on les consolidât, on les « couvrit adroitement » (adverbe en vérité trop vague et trop commode à ceux qui n’ont pas à assumer la responsabilité de la besogne). Mais d’autres, et des plus illustres, s’opposaient même à la réfection de cette couverture protectrice et ne voulaient pas admettre d’autres voûtes aux sanctuaires branlans, aux ruines augustes et sacrées, que la voûte même des cieux !