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vait pas un enthousiasme sans mélange pour l’Impressionnisme, mais il ressentait un vigoureux mépris de l’art académique. Très fier, très indépendant, il se sentait porté, aussi, par une sympathie instinctive, vers ceux qui ne demandaient rien à l’estampille officielle. Ce n’était pas, là, une question d’esthétique : c’était une question de caractère. Quand son concours fut sollicité, il ne le refusa pas. En 1874, à la première exposition d’impressionnistes, salle Nadar, il mit ses œuvres en même temps que Claude Monet, Cézanne, Sisley, Pissarro, Rouart, Berthe Morisot, Renoir. Dans la plupart des manifestations qui suivirent, il demeura leur compagnon fidèle. On prit ainsi l’habitude d’associer son nom au leur. Il recueillit, par ricochet, une part des injures qui leur étaient destinées, puis des apothéoses. Vu dans les mêmes expositions, il fut recherché par les mêmes amateurs ; il passa donc dans les mêmes collections, puis dans les mêmes salles de ventes, enfin dans les mêmes salles de musées. En 1894, quand on discuta l’entrée du legs Caillebotte au Luxembourg; en 1900, lorsque M. de Tschudi fit, pour le musée de Berlin, avec des deniers privés, les acquisitions d’impressionnistes qui déchaînèrent un si beau vacarme, Degas se trouva parmi les objets du litige. Et c’est ainsi qu’il fut « impressionniste » comme il aurait pu être « végétarien » et comme il fut effectivement « nationaliste : » cela n’avait aucun rapport avec sa peinture.

Toutefois, puisqu’il a longtemps porté cette étiquette, a fait partie de ce groupement, et vraisemblablement continuera d’y être confondu par l’histoire, il est bon de marquer les rapports que son art pouvait avoir avec l’impressionnisme et en quoi il en différait, d’autant que l’aventure qui lui arriva lui est commune avec beaucoup d’autres. En effet, quand on lit des textes, on voit que Manet, Whistler, Boudin, Jongkind, Lépine, Cals, Fantin-Latour, sont des « impressionnistes ; » mais quand on voit leurs œuvres, on n’aperçoit pas ce qu’elles ont de commun avec celles de Claude Monet, Renoir, Sisley, Pissarro, Berthe Morisot, Cézanne et tous ceux qui, selon la formule adoptée, ont « éclairci la palette » contemporaine. Car les premiers n’ont rien éclairci du tout. Ils sont souvent noirs, toujours gris, et si leurs ombres ont des finesses atténuées, ils ne présentent nullement ces effets rutilans de soleil, cette vibration de couleurs vives et crues qui distinguent les seconds. Rien n’est plus